A l'angle de la rue des Haudriettes et de la rue des Archives, dans un décrochement du bâti, une fresque monumentale signée par l'artiste Robert Combas impose son style coloré et graphique à l'architecture classique du Marais. Epaisseur du trait, explosion de formes, rondeur du dessin, foisonnement des motifs, cette réalisation entre en écho avec les interventions d'art urbain nombreuses dans le quartier. Commandée par la Ville de Paris en 2000, l'oeuvre qui a pour titre "La femme, lumière de l'homme" fait appel à l'imaginaire collectif, la culture populaire en évoquant le personnage de Don Quichotte créé par l'écrivain espagnol Miguel de Cervantes. Un homme s'est endormi dans son fauteuil, un livre sur les genoux laissant à penser que le reste de l'image est l'expression du songe inspiré par sa lecture. Détail curieux, grotesque, provocateur, un lampadaire à corps de femme éclaire la scène. Au dessus, comme une représentation du rêve de cet homme, endormi dans une position similaire entouré de livres se trouve Don Quichotte qui lui semble rêver du plus célèbre chapitre du roman de Cervantes, celui où le chevalier à la triste figure combat des moulins à vent. Cocasse, poétique, cette réinterprétation d'un sujet classique vient jouer les trublionnes dans l'espace public à l'instar de Robert Combas dans le monde de l'art.
Peintre, sculpteur, illustrateur, musicien, Robert Combas, est une figure majeure du mouvement de la Figuration libre. Né à Lyon en 1957, il passe son enfance et son adolescence à Sète où il rencontre Hervé Di Rosa. Fils d'une famille modeste, Combas entre en 1974 aux Beaux-Arts de Sète où il étudie sous la direction Éliane Beaupuy-Manciet. Il poursuit cet enseignement auprès de Dominique Gauthier et Daniel Dezeuze aux Beaux-Arts de Montpellier de 1975 à 1979 date à laquelle il passe son diplôme à Saint-Etienne. Robert Combas et Hervé Di Rosa créent, en 1979, en compagnie de Catherine Brindel aka Ketty, la revue "Bato", "œuvre d'art assemblagiste et collective". Combas et Ketty forment avec Richard Di Rosa dit Buddy, le frère d'Hervé, le groupe de punk rock Les Démodés.
Eté 1981, Ben, figure clé du mouvement Fluxus, invite Hervé Di Rosa et Robert Combas dans sa galerie niçoise. L'exposition "2 Sétois à Nice" est considérée comme l'acte fondateur de la Figuration libre, une expression inventée par le le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel pour définir le mouvement. La même année, ce dernier ouvre son loft parisien lors d'une deuxième exposition "Finir en beauté" qui installe les deux artistes sur le devant de la scène. Robert Combas est repéré par le galeriste et collectionneur Yvon Lambert dès 1982. C'est le début d'une nouvelle page de l'histoire de l'art hexagonal.
Le mouvement de la Figuration libre se compose de quatre artistes légitimes tous proches : Hervé Di Rosa et Robert Combas, Rémi Blanchard, François Boisrond plus Ludovic Marchand qui travaille en outsider. L'exposition Figuration libre France/USA organisée en 1984 par le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris consacre officiellement cette mouvance en la confrontant à la génération des graffistes new-yorkais, Jean-Michel Basquiat, Crash, Keith Haring, Kenny Scharf. Bousculant les conventions esthétiques, ces artistes s'émancipent des courants artistiques dominants de la fin des années 70, le minimalisme, les nouvelles avant-gardes. Leur art se pose en réaction contre la création aseptisée purement intellectuelle qu'est l'art conceptuel. Les jeunes gens turbulents de la Figuration libre brouillent les pistes.
Robert Combas choisit de se défaire des dogmes établis pour faire oeuvre de subversion. Selon lui la peinture est un plaisir sensuel qu'il convient d'incarner. La rupture sera liberté et provocation, ouverture au monde et mise à bas des préjugés. Par son retour à la figuration, il cherche à ouvrir de nouvelles voies en redéfinissant l'utilisation de l'espace, de la couleur, de la narration. En prise avec son temps, il s'inspire des cultures underground, des arts populaires. Symbole du génie libertaire d'une époque, Combas s'inscrit pleinement dans les singularités rebelles de son tempérament.
Placée sous le signe d'une iconographie libre et inspirée, son oeuvre parle de la société, de la violence, de la sexualité, de la condition humaine dans toute sa beauté et sa souffrance. Bande-dessinée, graffiti, télévision, publicité, ces images du quotidien alimentent son oeuvre autant que les grands récits fondateurs de la mythologie antique, les maîtres anciens notamment Goya et Vélasquez ou encore le bestiaire fantastique médiéval, la calligraphie. Grand admirateur de Toulouse-Lautrec, Jean Dubuffet, Picasso et Warhol, il puise l'inspiration dans l'imagerie arabe et africaine, s'inspire de l'art urbain, se rapproche de l'art brut.
Robert Combas manipule les représentations des medias de mass, celles accessibles à tous, absorbe le monde devenu matière pour recomposer un nouvel univers au vocabulaire plastique décalé. Posture esthétique éclectique de l'amalgame, enthousiasme créateur, le jaillissement de la peinture est libératoire. Les liens forts avec la musique se retrouvent dans un sens du rythme, du geste. Les accélérations de tempo se traduisent plastiquement. Lignes ondoyantes, cet alchimiste projette, sur la toile, des entrelacs dans un mouvement essentiel de vitalité poussant ses compositions graphiques protéiformes jusqu'au grotesque. Faussement optimiste, sa palette chromatique sature dans la stridence des couleurs pures. Son humour féroce donne à cette figuration rythmée une puissance évocatrice singulière.
Grand amateur de mots d'esprit, Combas ponctue ses toiles de signes, d'objets particuliers qui forment des rebus ontologiques dans le labyrinthe de ses paysages intérieurs. Entre provocation et désinvolture, la violence et la sensualité trouvent sens dans le souci dionysiaque de son art. La surabondance des motifs sexuels plonge dans l'intimité charnelle créatrice de vie, à mi-chemin entre fantasmes platoniques et mythologies personnelles. Le scandale n'est pas toujours là où il est attendu. Longtemps boudé par la critique française mais prisé par les collectionneurs du monde entier, Robert Combas a marqué l'histoire de l'art des années 1980. Après une certaine traversée du désert, l'artiste prolifique délivré de ses démons, connaît ces dernières années un retour en grâce. L'occasion de redécouvrir son oeuvre libre et colorée.
La femme, lumière de l'homme de Robert Combas
3 rue des Haudriettes - Paris 3
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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