En 1871, Rimbaud, pas tout à fait dix-sept ans, s'installe, à son invitation, chez Verlaine avec qui il entretenait une correspondance. Celui-ci habite chez ses beaux-parents, des bourgeois fortunés. A la suite de ses engagements lors de la Commune de Paris, Verlaine a perdu son poste de fonctionnaire et se consacre essentiellement aux excès d'alcool qui le rendent violent. Alors que sa toute jeune épouse enceinte, Mathilde, est choquée par la sauvagerie de Rimbaud, Verlaine est fasciné par son génie précoce, sa flamboyante intransigeance et son rejet des convenances. Malgré la différence d'âge, de milieu social, l'admiration réciproque des deux poètes se change en passion.
Portée à l'écran en 1995 par Agnieszka Holland avec Leonardo DiCaprio, David Thewlis et Romane Bohringer, la pièce de Christopher Hampton traduite en français pour la première fois évoque avec fièvre les amours tumultueuses entre la Vierge folle, Verlaine et l'Epoux infernal, Rimbaud. Passion sulfureuse et triangle amoureux, la rencontre des deux génies dans le "dérèglement des sens" et l'engagement total incarne la complexité d'un idéal créatif. Défiant l'ordre établi, bouleversant les codes, renversant les idoles, Rimbaud et Verlaine en proie à leurs démons mènent la révolution poétique en embrassant la marge. De leur errance partagée, dans le grand bouillonnement d'une histoire d'amour fou, viscéral, va naître la modernité.
Violence, excès, création et goût pour la destruction, les désordres de l'âme se font obsession ardente au rythme soutenu d'un récit puissant structuré en brèves scènes tourmentées. Alors que la férocité des désirs et l'exaltation des sens emportent toutes les convenances, Verlaine, image vivante du doute perpétuel, abandonne le foyer conjugal pour s'enfuir avec Rimbaud à Londres puis Bruxelles. Les amours interdites, condamnées par l'ordre moral bourgeois plongent les deux poètes maudits dans une spirale de destruction et de création. Dépassant les académismes, ils réinventent la poésie, s'aiment et se déchirent.
La pièce les présente en personnages torturés, aussi fascinants qu'effrayants. Leurs rapports complexes trouvent corps à travers l'interprétation remarquable des comédiens. Présence animale, Julien Alluguette incarne un Rimbaud insolent, épris de liberté dont la fougue rebelle et l'impétueuse ardeur traduit toute la morgue de la jeunesse, l'assurance en son génie. Face à lui, Didier Long est Verlaine, insatiable, indécis, sensuel, déchiré entre sa femme et son amant. Il donne à son personnage des nuances de naïvetés juvéniles jusque dans ses lâchetés. C'est bien la première fois que je vois Verlaine piquer la vedette à Rimbaud dans le cœur des spectateurs. D'une beauté de madone, Jeanne Ruff, subtile, est impeccable dans le rôle en demi-teinte d'une Mathilde Verlaine résignée.
Adapté et mis en scène par Didier Long
Avec Didier Long, Julien Alluguette, Jeanne Ruff
Du mardi au samedi à 21h
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse - Paris 6
Réservations : 01 45 44 50 21
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
Enregistrer un commentaire