Théâtre : La dernière bande de Samuel Beckett - Avec Jacques Weber - Mise en scène Peter Stein - Théâtre de l'Oeuvre



Silhouette clownesque, Krapp, homme solitaire au crépuscule de sa vie, écrivain raté usé par l'alcool, somnole derrière un bureau. A chaque anniversaire, il enregistre une bande confiant ses humeurs, ses souvenirs de l'année à son moi futur. Au cours de ce rituel, il écoute des bouts d'enregistrement passés et dans une singulière distorsion du temps, dialogue avec l'homme qu'il fut jadis. Le drame de la condition humaine s'incarne dans l'inéluctable passage des jours, le déclin physique, la nostalgie douloureuse, les regrets.








Oeuvre pessimiste, silencieuse, énigmatique, "La dernière bande" est une méditation vertigineuse où se mêlent ironie corrosive, insolence douloureuse et désespérance. Exiguïté de tombeau du plateau, atmosphère sépulcrale, la scène au milieu de laquelle trône un massif bureau grinçant a des allures de crypte. Au milieu des ombres, des tourments de la décrépitude, du chagrin sans fond, Krapp se rattache au souvenir fragile d'une femme aimée et l'évocation d'un après-midi de bonheur, instant heureux qui illumine les ténèbres glacées.

Jeu de la vérité existentiel, pièce exsangue jusqu'au morbide, le grand metteur en scène allemand Peter Stein, inspiré par la radicalité de la forme, y adjoint sa vision rigoureuse. Langage réduit au strict nécessaire, les didascalies précises de l'auteur maintiennent la structure arachnéenne du récit. Au-delà des clowneries de la pantomime, l'angoisse aigüe comme une craie crissant sur un tableau noir vrille les nerfs dans une tension constante que les outrances drolatiques apaisent à peine.





Grimé, méconnaissable, Jacques Weber est impressionnant. Perruque ébouriffée, nez rouge bourbonien, il aurait presque la tête de Depardieu, souliers trop grands, il incarne une figure douloureuse de clown vacillant, vieille carcasse souffreteuse pliée en deux, composition physique saisissante, à contremploi. Rictus, grimaces, partition précise, ingrate, il râle, grogne, tousse, grommelle. Une grande partie du texte est enregistrée laissant au comédien son corps seul pour s'exprimer. 

Du pathétique à la facétie, malade de solitude, Krapp/Weber éprouve le vertige du temps qui passe et nous avec lui, les contradictions de l'homme, l'inéluctabilité des regrets. L'ambiguïté de la confrontation au passé s'exprime toute entière dans le décalage entre la voix âgée chevrotante, murmure râpeux et celle au timbre riche des enregistrements de jeunesse.Etrange, désabusée, "La dernière bande", au cœur du désenchantement de soi, est une pièce difficile, anxiogène, dérangeante dont on ne ressort pas indemne.

La dernière bande, de Samuel Beckett 
Du 19 avril au 30 juin 2016
Avec Jacques Weber
Mise en scène Peter Stein

55 rue de Clichy - Paris 9
Réservations : 01 44 53 88 88



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.