Street Art : Les collages truculents de Madame Moustache



Peut-être avez-vous déjà croisé sur les murs de Paris, les collages truculents de Madame à la signature moustachue transgenre. Depuis un an et demi, elle investit les quartiers qui lui sont chers le Marais, Montmartre, Belleville, Ménilmontant, Oberkampf. Elle part à la conquête graduelle de la ville, territoire d’intervention, réservoir créatif et argument artistique. Pour les artistes de street art, il s’agit de reconfigurer l’espace urbain à leur mesure, nettoyer cet environnement soi-disant public que ce sont appropriés les firmes privées, les grands groupes et refaçonner la vision esthétique imposée par les institutions. L’art urbain est un facteur de mutation de l’aire de la cité au même titre que l’évolution naturelle de la ville. Art contextuel qui propose une formalisation inédite de l’expression créative.


Madame rue Jean-Baptiste Dumay - Paris 20
Fred le Chevalier et Madame Moustache - rue des Pyrénées - Paris 20


Les œuvres de Madame sont pour la plupart de grands formats en noir et blanc qu’elle ponctue de peinture rouge au pochoir. Ses créations ont un style très particulier et immédiatement reconnaissable. Elle utilise et détourne de vieux papiers, publicité et magazines des années 60 / 70 qu’elle réassemble en fonction de son inspiration pour donner naissance à des visuels décalés dont la grivoiserie légère et l’humour potache ont pour but selon ses mots « d’égayer le quotidien. » Sa marque de fabrique, des aphorismes en lettres découpées qui révèlent avec cocasserie le sens actuel de ces images d’une autre époque. Les collages mêlent une naïveté un peu folle, un penchant pour la dérision et les montages improbables.

L’univers fantasque de Madame est peuplé de femmes à barbe, de poissons chats à moustache, d’amoureuses légères, de femmes au foyer idéales mais armées, d’hommes mi-bêtes qui me font penser à la fois au Minotaure mais également au fiancé lapin de Tank Girl. Il y a une touche de punk dans l’esprit libertaire de cette artiste qui met en avant les valeurs humaines de tolérance, de partage, d’acceptation des différences. Elle laisse à son public le soin d’interpréter le sens de ses facéties sur papier.

L’intérêt pour son travail grandissant, Madame évolue. Les thèmes qu’elle traite se diversifient affirmant un style personnel. Elle a transformé son bureau en atelier enseveli sous des monceaux de papiers. Au quotidien, elle recherche, compulse, archive et classe les images qui attirent son attention. Elle puise dans des vieux journaux allant de ceux destinés à la parfaite ménagère version Mad Men aux magazines érotiques pour monsieur des années 70 comme Lui, puis choisit les photos, les fonds, la typographie qui détermineront la lisibilité des sujets. Les œuvres originales qu’elle crée sont de petits formats pour lesquelles elle porte une attention particulière à la matière en relief, aux couleurs. Superposition de papier, scotch, épingles, agrafe donnent une troisième dimension à ses collages. Ceux qui  ornent nos rues sont des agrandissements en noir et blanc.


Madame Moustache et Fred le Chevalier polissonnent


L’érotisme léger des créations de Madame est une première accroche qui capte le regard. Le détournement de ces images porte un message contestataire. Au-delà de la plaisanterie, de la provocation, il y a un sens plus profond. Les oeuvres teintées de nostalgie explorent la frontière des genres, prônent la tolérance, l’amour et la réciprocité dans les rapports humains. Le jeu avec les convenances révèle en chacun de nous l’esprit d’enfance. Madame fait preuve d’une extravagance joyeuse et ne boude pas un certain plaisir de subversion.

Le travail d’hybridation se poursuit dans l’invention de formes qui procèdent une fois  collées dans la rue d’une esthétique du surgissement et remet en question les pratiques artistiques conventionnelles. L’art urbain permet l’irruption d’espaces de création inattendus et pluridisciplinaires tout à fait inclassables. Madame travaille de manière expérimentale. Ses œuvres sont fondées sur le principe d’immersion, en prise direct avec le public des citadins.  « La ville est un atelier sans mur ». Elle a développé un goût de l’intrusion, corrigeant l’esthétique publique, et fait valoir une présence sujette à controverse. Ses collages jubilatoires possèdent une certaine dose de provocation mais lorsqu’elle transforme et détourne des éléments, c’est pour en faire des choses belles et joyeuses, un peu déjantées, dans l’espoir de donner le sourire aux passants. Œuvres contemporaines accessibles à tous.


Fred le Chevalier et Madame Moustache - avenue Jean Aicard - Paris 11

Madame Moustache - avenue Jean Aicard - Paris 11


Offrir ces créations à qui veut regarder, susciter l’intérêt génère une certaine satisfaction personnelle. Mais risquer la prise directe, c’est accepter d’être humble. Pour les artistes, il s’agit de changer radicalement leur façon de penser et d’œuvrer. Il y a une dimension aléatoire de l’art en milieu urbain fondée sur un quotidien de doute et le désir d’aller au contact. Les œuvres sont propulsées d’une manière différente et libre dans l’espace public. Créer dans la rue c’est accepter de se confronter à l’incertitude de résultat et à la réaction directe de personnes pas forcément ouvertes ni préparées.

Le street art appose une forme libre d’expression sur une forme oppressive imposée. Il suggère de regarder différemment la ville, zone de harcèlement publicitaire, où n’a le droit de présence que ce qui est financé ou institutionnalisé. Il ouvre une voie de résistance au balisage généralisé et institutionnalisé, l’expression d’une vision, une autre lecture de la cité. L’art change le réel et inversement. L’appropriation de cette réalité du territoire urbain c'est-à-dire de sa présentation commande dans les faits de représenter autrement donnant lieu à l’émergence de nouvelles formes d’expression, mutation esthétique impérative d’adaptation in sitù.

Le collage dans la rue possède par essence une dimension éphémère. Les créations se dégradent au rythme des saisons et de la vie urbaine. Amenées à disparaître, elles répondent à une logique de l’appropriation furtive et se développent selon un phénomène de viralité. Les œuvres spirituelles de Madame investissent l’espace public par un acte artistique, reprennent possession du milieu urbain, revalorisent cet espace, expression d’une poétique dissidente.

Pour les artistes de street art, le passage de la rue à la galerie implique une recherche de légitimité et de crédibilité. Il requiert une évolution en termes de pratique, nécessitant une adaptation des œuvres au milieu dans lequel elles se présentent. Cette intégration légèrement schizophrénique est nécessaire pour la reconnaissance du mouvement. Le marché de l’art à l’étroit dans son aire traditionnelle y trouve une nouvelle dynamique, une forme de déconstruction de la notion d’œuvre d’art, parfois même d’auteur au profit de celle de processus créatif. La culture de l’art urbain  possède une densité rare, ancrée qu’elle est dans le quotidien et un magnétisme qui assure son succès.

Madame Moustache
Actuellement exposition à Paris au concept store Hôtel Manufacture - 56, rue Volta – Paris 3
Braderie de l’art à Metz : le 13 et 14 octobre
Exposition à venir dans les mois qui viennent à Boulogne
Site : www.madamemoustache.fr 
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