Théâtre : Pétrole, d’après Pier Paolo Pasolini - Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault - Odéon Théâtre de l'Europe - Jusqu'au 21 décembre 2025

Crédit Jean-Louis Fernandez 


À l'occasion d'une réception à Rome, Guido Casalegno introduit l'ingénieur Carlo Valletti dans le cercle des grands industriels du pétrole. Il intègre l'ENI, Ente Nazionale Idrocarburi. Le patron du consortium italien, Ernesto Bonocore - double de fiction d'Enrico Mattei, mort dans un accident d'avion provoqué par une bombe - disparait dans des conditions troubles. Il est remplacé par Aldo Troya, - double d'Eugenio Cefis - son bras droit, aussi intrigant que suspect. Dans l'univers corrompu des grandes multinationales, le véritable pouvoir, les intérêts économiques et politiques entrent en collision. Carlo I choisit de faire carrière dans la capitale italienne et abandonne ses dernières illusions au profit d'une irrésistible ascension marquée par le capitalisme sauvage. Carlo II retourne à Turin sa ville d'origine et se perd dans des rencontres sexuelles. Il fréquente les lieux de cruising des années 1960, les friches industrielles, les terrains vagues, s'adonne frénétiquement à la quête du plaisir.



"Pétrole", texte inachevé de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), est un ouvrage mythique parcouru de troublantes coïncidences avec la propre disparition de l'auteur. L'une des théories concernant son assassinat serait d'avoir été un meurtre commandité afin de l'empêcher de diffuser ses révélations sur la disparition d'Enrico Mattei.

Composé de fragments, bribes de contes, ébauches de réflexions philosophiques, sociales, politiques, esthétiques, le livre de Pasolini n'a ni début ni fin. Dans sa démesure, incomplétude, il trace le tableau vibrant d'une époque trouble, l'Italie des années de plomb, hantée par les idéologies extrêmes, capitalisme, communisme, résurgences de l'extrême droite, des réactionnaires. C'est une histoire de luttes de pouvoir et d'influence, de renoncement aux idéaux, de corruption, de désir, de morale et de rédemption. Le pétrole est le symbole de toutes les compromissions, de l'avidité des uns, de la politique énergétique prédatrice, de la déliquescence des classes dirigeantes.

Sylvain Creuzevault adapte, métamorphose la matière littéraire pour la scène. Transmission d'une vision, il reconstruit le livre inachevé dans un geste artistique qui assume l'absence de linéarité, et laisse plus de questions que de réponses. Il donne forme au principe de dissociation entre Carlo I et Carlo II, le politique et l'intime. 

Les tableaux successifs glissent fluides dans un vertige halluciné, tour à tour burlesques, chantés, scènes satiriques, parodie de réunions au sommet. Sylvain Creuzevault nous invite à suivre les personnages qui se perdent dans des réceptions mondaines, des milieux interlopes ou des lieux de pouvoir. Cette création collective, fresque sociétale foisonnante, embrasse les enjeux politiques, sociaux avec une acuité troublante et décrypte les fondements de la société. 

"Pétrole" ouvre des espaces romanesques poétiques, laboratoire théâtral, spectacle convulsif traversé par les obsessions pasoliniennes, la politique, le sexe, la liberté, le libre-arbitre, l'individualisme. L'ambition du projet, , vient bousculer les codes, les certitudes, chaos parcouru de fulgurances. 

Les huit comédiens, énergie de troupe communicative, sont remarquables au service de cette proposition puissante, hypnotique, vénéneuse. Sébastien Lefebvre, Arthur Igual, Gabriel Dahmani, Pauline Bélier, Anne-Lise Heimburger, Sharif Andoura, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière changent de personnages à vue, incarnent sur le fil, équilibristes virtuoses, des figures fluctuantes.

À la vidéo, en direct, Simon Anquetil multiplie les angles, immersion, caméra subjective, gros plans. Entre l'écran et la scène, les comédiens, apparaissent et disparaissent, présence et absence, dans un grand mouvement de dédoublement, procédé vertigineux.

"Pétrole" suscite le trouble, fait appel aux consciences. De troublants échos résonnent entre le passé et le présent. Rien n'a changé.

Pétrole, d’après le roman de Pier Paolo Pasolini
Du 23 novembre au 21 décembre 2025

Odéon – Théâtre de l’Europe, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
2 rue Corneille - Paris 6
Tél : 01 44 85 40 40

Création collective
Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault
Avec Sébastien Lefebvre, Arthur Igual, Gabriel Dahmani, Pauline Bélier, Anne-Lise Heimburger, Sharif Andoura, Boutaïna El Fekkak, Pierre-Félix Gravière
Texte français René de Ceccatty
Scénographie Jean-Baptiste Bellon, Valentine Lê
Lumière Vyara Stefanova
Musique Pierre-Yves Macé
Musique et son Loïc Waridel
Vidéo Simon Anquetil
Cadre vidéo François-Joseph Botbol
Costumes Constant Chiassai-Polin
Casques Loïc Nébréda
Maquillage, perruques Mityl Brimeur
Assistanat mise en scène Émilie Hériteau, Ivan Marquez
Régie générale et régie plateau Clément Casazza
Régie plateau accessoires Camille Menet
Régie lumière Lison Royet
Habillage Sarah Barzic
Stagiaire masques Toscane Piard
Stagiaire scénographie Lévana Tortolo
Stagiaires costumes Agathe Brau, Mahë Foubert

Production Le Singe
Coproduction Odéon – Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne, Bonlieu Scène nationale Annecy, La Comédie de Saint-Étienne, Comédie de Reims – Centre Dramatique national, L’Empreinte – Scène nationale Brive-Tulle, La Comète – Scène nationale de Châlons-en-Champagne, Les Célestins – Théâtre de Lyon, Théâtre Vidy-Lausanne, Malraux Scène nationale Chambéry Savoie
Dans le cadre du Projet Interreg franco-suisse n° 20919 – LACS – Annecy-Chambéry-Besançon-Genève-Lausanne
Avec le soutien du Théâtre du Soleil
Avec la participation artistique Jeune théâtre national

La compagnie Le Singe est soutenue par le ministère de la Culture / Drac Île-de-France et par la Région Île-de-France.

Le roman Pétrole de Pier Paolo Pasolini, traduit de l’italien par René de Ceccatty, est publié chez Gallimard, Collection L’Imaginaire, 2022 (édition revue et augmentée, première parution en 1995).

- La Comédie de Saint-Étienne, CDN du 24 au 27 février 2026

- Comédie, CDN de Reims les 20 et 21 mai 2026

- Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) du 3 au 5 juin 2026



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.