Paris : Galerie Colbert, l'original et la copie, histoire d'une restauration impossible, d'une reconstruction polémique - IIème



La galerie Colbert construite en 1826 établit dès son origine une relation de rivalité avec son aînée de trois ans, la galerie Vivienne dont le succès va inspirer la société Adam et Compagnie. Ces spéculateurs décident d'ouvrir en parallèle de cette dernière une nouvelle galerie qui la dépassera par son luxe et ses attraits commerciaux. Pour concurrencer la galerie Vivienne et lui ravir la vedette, le projet mise sur la créativité de son architecture néoclassique, l'opulence de ses décors pompéiens. Les promoteurs achètent la propriété mitoyenne, une parcelle à l'angle rues des Petits-Champs et Vivienne. Sur celle-ci se trouve notamment l'hôtel Colbert qui donnera son nom à la galerie édifiée sous la houlette de l'architecte Jacques Billaud. La façade de l'hôtel particulier est préservée pour être assimilée à la nouvelle construction. Une spectaculaire rotonde surmontée d'un dôme vitré dispense une abondante lumière le long des travées. Les boutiques conçues pour accueillir des commerces de luxe s'emploient à satisfaire les exigences en matière de dimension de tels magasins. Malheureusement pour les propriétaires, la galerie Colbert ne rencontrera jamais réellement son public. Délaissée, malgré un classement à l'inventaire des Monuments historiques en 1974, son délabrement est tel qu'elle ne pourra pas être sauvée. En 1983, la galerie Colbert originelle est démolie pour être reconstruite à l'identique par l'architecte Louis Blanchet. Aujourd'hui, centre universitaire et siège de l'INHA, elle n'a plus grand-chose d'un passage commerçant mais demeure intéressante pour son histoire.










En 1826, les promoteurs de la société Adam et compagnie alléchés par le succès de la galerie Vivienne décident d'établir une galerie rivale sur le même site, suivant à peu près le même tracé. Sur la parcelle, les bâtiments antérieurs de l'hôtel Colbert sont conservés et remaniés pour être pleinement intégrés au passage. Construit pour Guillaume Bautru de Serrant de 1634 à 1637 sur les plans de l'architecte Louis Le Vau, l'hôtel particulier qui donne son nom à la galerie est vendu en 1665 à Jean-Jacques Colbert. A partir de 1719, il devient la résidence du régent Philippe d'Orléans qui se rapproche ainsi du Palais Royal. De 1806 à 1828, la Caisse de la dette publique dernier occupant de l'hôtel Colbert donne son premier nom au trajet situé sur le tracé de la future galerie, le passage du Trésor.

L'architecte Jacques Billaud en charge du projet envisage pour la galerie Colbert une géométrie plus simple que celle de sa voisine. Selon les principes esthétiques de l'architecture néoclassique, un grand soin est apporté à la réalisation et au décor. La verticalité est privilégiée avec une colonnade rythmée par des baies cintrées surmontés d'un étage portant des frontons triangulaires. Jacques Billaud doit faire face à des difficultés techniques précises. Les constructions préexistantes doivent être revisitées afin que les façades puissent servir à la nouvelle galerie tout en gagnant en lumière. La façade principale de l'ancien hôtel Colbert est augmentée d'un étage et le rez-de-chaussée converti en vastes boutiques. Afin de corriger la pente naturelle du terrain, les arcades de taille différente sont organisées de sorte à donner en perspective l'illusion d'un même gabarit. Le long des allées principales, les arcades en plein cintré entièrement vitrées encadrent des boutiques spacieuses. Soutenue par une série de frontons triangulaires, une verrière couvre la galerie. La rotonde, véritable morceau de bravoure, est surmontée d'un dôme vitré de 15 mètres de diamètre. Au centre de la placette est planté un grand candélabre "cocotier". 

Le luxe ostentatoire du décor s'inspire de l'esprit pompéien, un décor à l'antique très en vogue. François Thiollet, en charge des éléments ornementaux, imagine une décoration polychromique.  Pilastres, moulures, rosaces, chapiteaux, corniches, motifs, l'ensemble du programme est peint. Les socles suggèrent le marbre rouge, les colonnes imitent le marbre jaune tandis que frise et fond évoquent le marbre gris veiné. Les moulures et les corniches sobrement badigeonnés de blanc mettent en valeur les menuiseries repeintes en bronze et les médaillons blancs sur fonds violets.  Le velum de la rotonde et les fonds de la tenture sont peints en jaune. Filets et entrelacs se parent de rouge sur fond bleu ciel. 



T Winkles d'après J Nash - Rotonde passage Colbert 1829
Source Brown University





Malgré le raffinement architectural, l'élégance de l'ensemble et sa conception ingénieuse, malgré la qualité des commerces qui s'installent galerie Colbert, le succès ne vient pas. Il y a divers magasins de mode, des cabinets de lecture, des librairies et un prestigieux éditeur de musique. Le Grand Colbert tout d'abord occupé par une boutique de mode devient un célèbre bouillon. 

La rivalité avec la galerie Vivienne fait rage. Lors de son inauguration, la galerie Colbert débouche dans la continuation de la galerie dite de Valois par le passage des Deux-Pavillons en face du Palais Royal. Le propriétaire de la galerie Vivienne, particulièrement remonté contre cette nouvelle concurrente, rachète le petit passage et détourne à son profit la clientèle du Palais Royal. Le propriétaire de la galerie Colbert contre-attaque et ouvre en 1828 le passage Colbert qui rejoint la galerie par un coude. 

Mais les échecs successifs sont une véritable déception pour les promoteurs. En 1830, le Palais Royal est moralisé. Les vénus mercenaires s'envolent ailleurs et les commerces de jeux et boissons aussi. En 1832, alors que les panoramas et autres dioramas font courir le tout Paris, un géorama, attraction fonctionnant sur le principe de vues aériennes dessinées en trompe-l'œil, ouvre à l'entrée de la galerie Colbert. Peine perdue. La clientèle préfère désormais les grands boulevards. En 1867, les galeries Colbert et Vivienne sont désertées. Dans les années 1920, le restaurant et l'éditeur de musique accaparent toute la partie donnant sur la rue Vivienne et condamnent tout simplement cet accès. 








Classée à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques par arrêté du 7 juillet 1974 avec la galerie Vivienne et les bâtiments voisins, la galerie Colbert est tellement dégradée qu'elle doit être fermée au public en 1975. Rachetée par la Bibliothèque nationale, la question de sa restauration pose problème.

La galerie originelle a été construite dans des matériaux fragiles, décors plaqués sur une structure en plâtre et bois, qui n'ont pas résisté à l'outrage du temps. Les affectations changeantes, La rotonde a notamment été transformée en garage avant de disparaître, l'abandon des commerces ont fragilisé les fondations. La démolition est envisagée très rapidement ce qui soulève une vive polémique.

L'architecte des Monuments historiques, Louis Blanchet, prix de Rome en 1980, est chargé du projet. La galerie originale est rasée en 1983 pour être reconstruite à l'identique en 1985. Il est question alors d'édifier une galerie sur deux étages au lieu d'un seul prévu initialement et de surélever la rotonde afin qu'elle reprenne sa forme conique.  Mais comme il peut être observé sur les baies hautes ouvrant sur le ciel, les étages ne seront pas restitués et le premier finalement se contentera d'une reconstitution par une fausse façade en décor. La statue en bronze Eurydice piquée par le serpent de Charles-François Nanteuil-Leboeuf remplace le lampadaire d'origine au centre de la rotonde.









Les éléments décoratifs pompéiens vont être reproduits minutieusement grâce à la prise d'empreinte sur les trois dernières travées encore intactes. Les pans manquants, chapiteaux et corniches, pièces ornementales en relief sont repositionnés à leur emplacement exact sur une structure en béton préfabriqué. Au cours du chantier, la découverte d'éléments pompéiens cachés sous les peintures du Café Colbert permet de retranscrire la polychromie originelle exacte. La rotonde retrouve une couverture de verre et d'acier à laquelle une certaine critique reprochera un manque de légèreté. A l'entrée de la galerie, une peinture représente Colbert présidant aux destinées du commerce. En 2004, les architectes Dominique Pinon et Pascale Kaparis sont chargés d'un nouveau réaménagement qui modifie la géométrie du rez-de-chaussée et met en valeur les arcades subsistantes de l'ancien hôtel Colbert.

Depuis son acquisition, la Bibliothèque nationale y a installé diverses activités dont le dépôt légal qui sera déménagé vers le site de la BNF au début des années 2000. L'absence de boutiques remplacées par des salles de conférence et des locaux universitaires marque la galerie d'une empreinte compassée. Le restaurant Le Grand Colbert demeure le seul commerce subsistant dans la galerie qui est principalement affectée à l'Institut national d'histoire de l'art, l'INHA. Aujourd'hui, la galerie Colbert abrite les sièges de l'Institut national d'histoire de l'art, de l'Institut national du patrimoine, du centre André-Chastel, du Comité français d'histoire de l'art, de l'Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU). Elle héberge également les laboratoires de recherche et les écoles doctorales liés à l'histoire de l'art et au patrimoine culturel de plusieurs universités et écoles franciliennes.

Galerie Colbert - Paris 2
Accès 6 rue des Petits-Champs et 2 rue Vivienne



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie 
Paris et ses passages couverts - Guy Lambert - Editions du patrimoine Centre des Monuments nationaux
Passages couverts parisiens - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 2è arrondissement - Dominique Leborgne - Parigramme