Paris : Il faut se méfier des mots, une installation de Ben au coeur de Belleville - Place Fréhel - XXème



Deux ouvriers en bleu de travail tentent de redresser une monumentale ardoise d'écolier apposée sur un grand mur aveugle. L'un juché assis sur le rebord de l'immeuble et l'autre suspendu dans une nacelle semblent indéfiniment mettre en place ce tableau noir sur lequel une main a tracé d'une ronde écriture reconnaissable entre toute cette singulière maxime, Il faut se méfier des mots, titre d'une exposition de l'artiste à la galerie de Catherine Issert à Saint-Paul-de-Vence en 1992. [Edit] Selon une photographie prise en 1989, les premiers mots affichés à cet endroit ont été : N'importe qui peut avoir une idée. L'installation artistique dont l'aphorisme actuel date de 1993 est l'oeuvre de Ben (Vautrier) artiste niçois d'origine suisse né en 1935 à Naples en Italie, auteur d'aphorismes au parfum d'enfance, souvenirs de fournitures scolaires que tous les gamins ont connues et acteur majeur de l'avant-garde artistique post-moderne.




1989






L'installation reprenant le principe d'écriture peinte égaye la place Fréhel, baptisée en hommage à la chanteuse réaliste Marguerite Boulc'h dite Fréhel (1891-1951) chantre de la vie des quartiers populaires. Cette curieuse dent creuse donnant sur la rue de Belleville, à l'angle de la rue Julien-Lacroix doit sa singularité à des problèmes d'urbanisme. Lors les travaux réalisés à l'occasion du percement des tunnels de la ligne 11 du métro de 1931 à 1934, le terrain de nature instable ne résiste pas aux excavations. Les fondations des immeubles sont fragilisées au point que les bâtiments doivent être démolis.

La réalisation de Ben se trouve en face d'une fresque réalisée par Jean Le Gac mais la place semble comporter deux autres œuvres, que je ne suis jamais parvenue à repérer, peut-être ont-elles disparu avec les nouveaux jardinets, une anamorphose, Carré pour un square de Jean-Max Albert et un cône de Marie Bourget. Les murs de la place comme une invitations aux artistes du quartier se couvrent de collages, dessins au pochoir, graffitis divers comme autant de doses de poésie distillées au cœur du tissu urbain.

Performances, installations, écritures, son travail de calligraphie proche du lettrisme explore le sens, marquant un intérêt marqué pour la signification plus que pour la forme. Les petites phrases de Ben, inspirées par l'actualité, flirtent avec le paradoxe d'une provocation joyeuse à la portée philosophique, politique et anthropologique.






L'artiste autodidacte a débuté comme garçon de course dans la librairie le Nain Bleu, à Nice. C'est là qu'il découvre l'art dans les livres. Au milieu des années 50, ouvre sa propre libraire où il vend plutôt des disques d'occasion, Le Magasin, qui devient rapidement un lieu d'échange culturel. Cet important rendez-vous de la vie artistique devient le foyer de l'Ecole de Nice regroupant Arman, Martial Raysse, César. En 1953, Ben réalise son premier essai d'écriture avec l'inscription Il faut manger. Il faut dormir. Le jeune artiste qui se rapproche du Nouveau réalisme et travaille sur le motif de la banane se lie d'amitié avec Yves Klein. Conseillé par celui-ci, il se recentre sur ses écritures dont les premières se déploient sur la façade du Magasin. 

Les inscriptions en couleur puis en noir et blanc, tracées à l'acrylique tendent vers une simplicité qui devient concept, celui d'un art de l'idée. Ben rencontre George Macuinas à Londres et rejoint Fluxus en 1962 qui s'affirme comme un non-mouvement, produisant de l'anti-art ou plutôt un art-distraction. 

Au Magasin de la rue Tonduti de l’Escarène à Nice, Ben soutient depuis toujours les artistes débutants. En 1981, l'exposition "2 Sétois à Nice" regroupant les travaux de Robert Combas et Hervé Di Rosa est considérée comme l'acte fondateur de la Figuration libre, une expression souvent attribuée à Ben lui-même mais semble-t-il inventée par le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel pour définir le mouvement.









Interrogeant le statut de l'œuvre, le rôle de l'artiste, la place de la création dans la société, Ben explore une pratique empreinte d'humour et d'autodérision. Volontiers provocateur, il pousse la réflexion sur lui-même à travers une démarche à la dimension égocentrique revendiquée explorant six grands thèmes l'ego, le doute, la mort, le sexe, le nouveau, l'argent. Ses aphorismes comme autant de commentaires sur le monde, sur l'actualité, constats interrogatifs se font matière à penser, à sourire. 

Il se livre à des performances et fait sortir l'art dans les rues de la ville devenue galerie à ciel ouvert pour aller à la rencontre du public. Les spectateurs sont invités à interagir pour prendre part à l'oeuvre, creusant l'idée d'interpénétration des pratiques artistiques et du quotidien, jouant de son impertinence malicieuse, de son ironie radieuse afin de célébrer la diversité des cultures.

Il faut se méfier des mots, une installation de Ben
Place Fréhel - Paris 20



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.