Cinéma : La Nuit a dévoré le monde, de Dominique Rocher - Avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant



Sam, un musicien au naturel solitaire, assiste à une soirée dans un appartement parisien. Alors que file la nuit et que les invités peu à peu s'éclipsent, il s'endort. Lorsqu'il se réveille, il découvre la ville prostrée dans le silence, dévastée par une fureur meurtrière, vision d'apocalypse hantée par les cadavres et les mort-vivants. Sam se retrouve seul. Pour fuir les bruits étranges et les silhouettes inquiétantes, il se replie dans ce bel immeuble haussmannien qu'il transforme en citadelle isolée du monde. S'organisant méthodiquement dans ses retranchements, il s'interroge : est-il le dernier survivant ?






Adaptation du roman paru en 2012 de Pit Agarman, pseudonyme de Martin Page, ce songe cauchemardesque réalisé par Dominique Rocher réinvente avec créativité le film de genre. Si la filiation avec 28 jours plus tard de Dany Boyle ou encore Rec de Paco Plaza et Jaume Balagueró vient tout de suite à l'esprit, l'univers de La Nuit a dévoré le monde s'apparente plutôt à celui du roman de Richard Matheson, Je suis une légende. Cet objet filmique, hargneux, tendu, truffé de trouvailles, prend le parti de dépasser le postulat horrifique, cataclysme et mort-vivants, pour interroger l'aliénation, l'individualisme et la solitude du mode de vie urbain. 





Film d'auteur porté par des performances d'acteur remarquables, le long-métrage de Dominique Rocher s'inscrit dans une veine naturaliste. Composant ses plans avec un soin maniaque le réalisateur a fait le choix du minimalisme et limité les mouvements de caméra. Son travail sur les espace met en lumière la solitude qui les redéfinit dans un effet de claustrophobie intense. La vision terrible de la ville, à la fois si familière et si différente, est particulièrement troublante. 

Tandis que l'action est circonscrite dans un huis clos étouffant, toute la mise en scène traduit l'isolement. A part de rares séquences aussi brutales que soudaines, l'horreur de ce nouveau monde est plus suggérée plus que montrée, les mort-vivants font peu d'apparitions.  L'excellent travail du son instille une tension constante - terrifiant bruit des pas - que vient appuyer une bande originale très réussie. 




Vulnérable, électrique, Anders Danielsen Lie, comédien fétiche de Joachim Trier, incarne avec beaucoup de nuances cet assiégé, rongé par l'angoisse, et contraint de se cacher pour survivre. Sans espoir d'être retrouvé, sauvé, le rôle explore les limites psychologiques de l'isolement et l'étouffante proximité des autres. Pourquoi s'obstiner à survivre dans un univers privé d'humanité ? Le chaos intérieur du personnage se fait reflet du cataclysme extérieur. Dans un rôle physique imprévisible, Dominique Lavant, épatant, est méconnaissable, présence abominable et inattendue. 

Plus qu'un film d'horreur, La Nuit a dévoré le monde est porteur d'une réflexion existentielle sur la peur de l'autre, de l'altérité qui mène au repli total. Et c'est un pari osé mais réussi.

La Nuit a dévoré le monde, de Dominique Rocher 
Avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant
Sortie le 7 mars 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.