Théâtre : Art, de Yasmina Reza - Avec Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin, Alain Fromager - Théâtre Antoine



Serge, un dermatologue qui a bien réussi, vient de faire un achat dispendieux qui flatte son ego d'esthète autoproclamé : un tableau monochrome, blanc parcouru de fins liserés blancs. Son ami Marc, ingénieur dans l'aéronautique, ne revient pas qu'il ait pu dépenser 30 000 euros pour une toile blanche. Il soupçonne l'admiration excessive de Serge pour cette oeuvre d'être feinte, de n'être que snobisme. Marc a l'impression que Serge a trahi leur complicité de plus de trente ans en se laissant aller à cette tocade et réagit par une colère démesurée. Le troisième larron de ce triumvirat masculin, Yvan, représentant dans une papeterie, assiste à la dispute, impuissant, se refusant à prendre parti. Ce tableau, il n'en pense rien tout préoccupé qu'il est par son futur mariage.





Traduite en quarante langues depuis sa première représentation en 1984, Art est devenue un classique du répertoire. Sous couvert d'un débat sur l'art contemporain, satire de la modernité, Yasmina Reza s'intéresse avec acuité à la crise existentielle d'une certaine bourgeoisie. Répliques cinglantes qui font mouche, joutes verbales et vacheries entre amis, mauvaise foi désopilante, Yasmina Reza ne se départit jamais d'une ironie à vif, teintée d'une certaine mélancolie. Du pathétique jusqu'au tragique, la drôlerie du texte repose sur la force d'une écriture tout en rythme, sans temps mort. Les monologues, véritables pépites burlesques, sont d'une férocité jubilatoire. 

Cette histoire d'amitié qui vole en éclat sous un prétexte futile creuse au-delà des apparences, révélant la véritable teneur des relations humaines, la vérité des personnages. L'achat du tableau que Serge perçoit comme l'accomplissement d'un désir personnel mais qui pourrait aussi bien souligner un besoin de reconnaissance est vu comme une trahison par Marc. L'incident met à jour les rancœurs accumulées en trente ans. La complicité que l'on croyait immuable vole en éclat, victime des aléas de la vie plus que de l'acquisition de la toile. Le délitement des relations est bien antérieur en réalité.




L'épure des décors intemporels s'inscrit dans la veine d'une mise en scène classique, précise, que Patrick Kerbart a souhaité très proche de la création originelle. Le trio de comédiens incarne à merveille une certaine ambiguïté des personnages qui prend source dans le désenchantement des vies qui n'ont pas tenu leurs promesses. Arrogant, bouillant, Marc le sceptique interprété par Charles Berling, très en forme et en voix, est tour à tour déchiré, écorché, incrédule. Alain Fromager prête ses traits à un Serge séduisant, snob moderne exaspéré délicieux. Jean-Pierre Darroussin dans le rôle d'Yvan, leur souffre-douleur, est épatant, indécis malheureux, le clown triste regardé de haut par ses compères plus fortunés. Une réussite très réjouissante.

Art, de Yasmina Reza
Mise en scène Patrice Kerbrat
Avec Charles Berling, Jean-Pierre Darroussin, Alain Fromager
Du mardi au samedi à 21h et matinées le samedi et dimanche à 16h

Théâtre Antoine
14 boulevard de Strasbourg - Paris 10
Réservations : 01 42 08 77 71
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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.