Cinéma : La Forme de l'eau, de Guillermo del Toro - Avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon



En 1962, en pleine Guerre Froide, dans un laboratoire gouvernemental ultra-secret de Baltimore, est détenue une mystérieuse créature, un amphibien humanoïde capturé par l'armée en Amazonie où il était vénéré comme un dieu. La discrète Elisa Esposito travaille comme femme de ménage dans ce complexe militaire. Jeune femme muette, pleine de fantaisie, elle mène une vie solitaire. Elle entretient une relation filiale avec son voisin Giles, un vieil homme homosexuel, auteur de bandes dessinées qui n'ont jamais rencontré le succès. Ils partagent une passion pour les comédies musicales et rêvent ensemble devant ces films. Lorsqu'au laboratoire, Elisa découvre la créature maintenue captive, elle est prise de compassion, émue par son triste sort. Une compassion qui se change bientôt en sentiments amoureux alors que le terrible Richard Strickland en charge du projet scientifique menace de mener à bout de cruelles expériences puis de dépecer l'amphibien pour mieux l'étudier. 






Histoire d'amour fantastique, entre science-fiction et mélodrame, Guillermo del Toro décline le conte de La Belle et la Bête sous la forme d'une fable moderne pour adultes en y adjoignant des résonances politiques, humanistes et sociologiques. Jouant sur la puissance de l'imaginaire collectif, en grand cinéphile, le réalisateur rend hommage à des classiques en ponctuant son oeuvre de références comme autant de rapprochements sur le fil d'une poésie envoûtante qui participe de la beauté plastique du film. Le monstre amphibien et les prises de vues sous-marines évoquent L'Etrange créature du lac noir, film de 1954 de Jack Arnold tandis que la scène d'inondation de l'appartement renvoie directement à celle de Delicatessen de Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro. 

Dans l'univers fantastique du cinéaste, les monstres aimables et les créatures fascinantes procèdent de l'enchantement du magicien. Dans La Forme de l'eau, cette veine féérique est inextricablement mêlée aux éléments historiques. S'emparant du réel, Guillermo del Toro met à profit ses talents de conteur pour exalter une émotion narrative à laquelle la musique du compositeur Alexandre Desplat apporte une atmosphère lyrique intense. 






L'histoire intimiste évoque les rapprochements entre des êtres sans voix, portés par le silence et la musique. Célébrant l'altérité, Guillermo del Toro tisse en filigrane une critique de la société américaine, sa vision patriarcale et aborde des thèmes forts comme le racisme, le sexisme, le rejet de la différence. 

Issus de minorités, les personnages en marge auxquels s'attache le réalisateur sont décalés, rejetés par la société. Une handicapée, une africaine-américaine, un homosexuel, un étranger et finalement une créature en lutte dans un univers âpre et cruel, se reconnaissent dans la différence. Ces êtres sensibles à la poésie du monde ont conservé leur capacité d'émerveillement mais également d'amour et de tendresse.




Magnifiquement touchante, Sally Hawkins incarne avec subtilités Elisa, femme moderne qui défie les normes sociales, à la fois forte et fragile. Les personnages secondaires fouillés et attachants laissent leur potentiel de comédie s'exprimer avec Richard Jenkins en Giles et Octavia Stevens délicieuse en Zelda Fuller à l'humour jubilatoire. Michael Shannon qui prête ses traits à l'odieux tortionnaire Richard Strickland campe un méchant vraiment très méchant. Quant à Doug Jones, épatant, il a la délicate mission derrière son imposant costume de donner vie à une créature mi-homme mi-animal, capable de sentiments, de sensibilité mais également de mouvements de violence. 

Fable politique, comédie d'espionnage, mélodrame romantique, La Forme de l'eau est une ode à la tolérance d'une intensité émotionnelle qui n'a d'égale que sa beauté plastique. Un très grand film.

La Forme de l'eau, de Guillermo del Toro
Avec Sally Hawkins, Doug Jones, Michael Shannon, Richard Jenkins, Octavia Stevens
Sortie le 21 février 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.