Théâtre : Michel-Ange et les fesses de Dieu, de Jean-Philippe Noël - Avec Jean-Paul Bordes, François Siener - Théâtre 14



En 1508, Michel-Ange accepte la proposition du pape Jules II, celle de réaliser une fresque monumentale sur les 800m2 du plafond de la Chapelle Sixtine. Une gageure pour cet artiste qui se considère surtout comme un sculpteur mais qui certain de son talent refuse de prendre des assistants. Si le pape désire que soient représentés les douze apôtres, l'ombrageux génie de la Renaissance préfère se lancer dans la réalisation de neuf tableaux illustrant la Genèse, de la Création à la Chute de l'Homme. Pendant quatre ans, jusqu'aux limites de ses forces, Michel-Ange travaille couché. Il tente par tous les moyens de cacher l'évolution du chantier, persuadé que ses pairs et rivaux l'espionnent pour lui voler ses idées. Parfois, il s'enfuit pour changer d'air et travailler sur d'autres œuvres. Entre deux batailles, Jules II, le pape guerrier et paillard, plus tourné vers les luttes politiques que vers les élévations spirituelles, vient demander des comptes à l'artiste. Soucieux de la progression de la fresque qui doit rendre gloire à Dieu mais surtout à lui-même, il se demande quel personnage prendra ses traits et pérennisera sa renommée. Michel-Ange se moque des exigences de son mécène. Il se plaint, se lamente, doute, tempête et retourne à son échafaudage. Le roué Jules II flatte, menace, charme, pique des colères. Naissance d'un chef-d'œuvre.





A travers ce duel tragi-comique, Jean-Philippe Noël explore les rapports entre commanditaire et artiste, auscultant l'interdépendance entre le peintre et le prélat qui s'affrontent dans des scènes sur le fil de l'émotion. Il trouve un équilibre éloquent dans les confrontations qui opposent Michel-Ange et Jules II. La vérité historique - contexte politique troublé d'une Italie pas encore unifiée, morcelée en de nombreux états, aspect guerrier des princes de l'Eglise - forme une toile de fond solide sur laquelle, par petites touches expressives, l'auteur vient tracer des personnages en redonnant chair à ces hommes du passé. 

Les libertés du dramaturge sont au service d'une incarnation, d'un propos fort sur le lien étroit entre le mécène et l'artiste. Ce dernier apparaît en guerre contre lui-même et contre les puissances temporelles. Il fait face à la violence du pouvoir et celle plus intime de ses propres doutes. Entre soumission et rébellion, son attitude questionne l'indépendance de l'art, la solitude du créateur rongé par des échecs inavoués. Au silence du génie répond le bruit des caciques.





Jean-Paul Bordes a imaginé une mise en scène où le plafond de la Chapelle Sixtine, centre de toutes les attentions, ne sera jamais montré. L'action se déroule dans un coin de la chapelle transformé en atelier et campement de fortune, au pied de l'échafaudage, suggéré au fond du plateau, sur lequel grimpe le peintre pour se rapprocher de son oeuvre et du Ciel. 

Double casquette pour Jean-Paul Bordes qui interprète, impeccable, douloureux, enflammé, un Michel-Ange pugnace, irascible, exalté et torturé. Si la suffisance du génie, son sale caractère et ses emportements prêtent à sourire, les doutes dévorants le rendent plus humain. Rongé par les problèmes matériels tels que le salpêtre, les retards, le manque d'argent autant que par les interruptions du monde extérieur, sa brutalité qui s'invite de force dans la paix de la création. En quête de perfection, d'absolu mais aussi de rédemption, l'artiste est plongé dans sa propre bataille pour mener à bien son oeuvre maîtresse, s'élever vers le sublime et vers Dieu.




Face à lui, François Siener en Jules II, surnommé il Terribile, prélat et homme de guerre, est drôle, tonitruant, flambeur. Ce pape implacable porté par des désirs de puissance et de grandeur, éléments majeurs de toutes les intrigues politiques, ne cache pas ses ambitions terrestres et son souci de postérité. Troisième personnage sur scène, Mattéo, interprété par Jean-Paul Comart, remarquable, incarne avec pléthore de bons mots le valet décalé, souffre-douleur au franc-parler dont la répartie éclaire toute la pièce d'une note d'humour touchante.

Finesse d'écriture, interprétation admirable, la pièce est formidable. Un très beau moment de théâtre.

Michel-Ange et les fesses de Dieu, de Jean-Philippe Noël
Mise en scène : Jean-Paul Bordes
Assisté de Dominique Scheer
Avec : Jean-Paul Bordes, François Siener, Jean-Paul Comart, César Dabonneville 

Jusqu’au 26 février 2018
Le lundi à 19h, mardi, mercredi, jeudi, vendredi à 20h45, matinée samedi à 16h

Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier - Paris 14
Réservations : 01 45 45 49 77



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.