Théâtre : 1993 - Texte Aurélien Bellanger - Mise en scène Julien Gosselin - Avec le groupe 43 - Théâtre de Gennevilliers

Crédit Jean-Louis Fernandez


En 1993, les derniers travaux avant l'inauguration du Tunnel sous la Manche reliant Calais à Douvres se terminent tandis qu'à la frontière franco-suisse est percé le Tunnel du Cern afin de construire le plus accélérateur de particules au monde, le grand collisionneur de hadrons, LHC. L'Angleterre rattachée au continent, favorisant le passage des marchandises et de hommes, incarne le rêve européen et son idéal d'ouverture. Dès le milieu des années 1990, des réfugiés kurdes et kosovars en quête de liberté investissent d'anciens entrepôts ayant servis à la construction du tunnel, transformant l'endroit en zone de transit. Aujourd'hui, le démantèlement de la Jungle de Calais, symbole douloureux de la crise des migrants, le déplacement des populations, les itinéraires fragmentés, les crispations identitaires marquent la fin d'une mythologie contemporaine.






Julien Gosselin a fait appel à Aurélien Bellanger, pour évoquer l'époque, la crise de l'Europe, filant l'hypothèse d'une fin de l'histoire et de l'homme en s'appuyant sur les textes de Francis Fukuyuma, un politologue américain, comme horizon ironique de la postmodernité. En 1989, ce dernier affirmait que la fin de la guerre froide marquait la victoire de la démocratie et du libéralisme sur les autres idéologies politiques. Avec la chute du mur de Berlin, les soubresauts importants donnaient naissance à notre monde contemporain gangréné par les extrémismes, ne laissant comme alternative que d'accepter la déconstruction de l'occident moderne, archaïsme comme un autre.

Déchaînement scénographique, profusion de mouvement permanent, flottement des époques entre 1993 et 2017, le spectacle se déploie en deux temps. Au cours de la première partie quasi abstraite, matière poétique, les comédiens peu à peu happés par les ombres du tunnel scandent avec force un texte, comme si leur voix cherchait à couvrir la furie du monde, à se faire entendre avant de disparaître. Le deuxième temps plus incarné, transporte le spectateur dans une soirée Erasmus. Des étudiants de toutes les nationalités boivent, draguent, se droguent. Cette fête presque anodine se révèle peu à peu rassemblement identitaire, le choix des extrêmes, réaction à la vacuité de la société libérale, la violence, forme de contre-révolution.






Tout est signifiant. Le décor, le brouillard enveloppant se font matérialité de l'indifférence dans la frénésie d'un son industriel. La scène coupée en deux par un écran qui diffuse une vidéo en direct se prolonge entre le réel et son double dans les images ralenties des corps dansants. L'ironie de la vision prend une intensité singulière dans l'expérience immersive du questionnement existentiel. Le sentiment d'imminence tragique reflète les angoisses face à l'état du monde. La poésie prend le pas sur l'idéologie dans cette création nihiliste hallucinée qui capte le malaise de la société. Il y a urgence à dire et à montrer.




Soulevant des questions sociales essentielles, 1993 interroge la vision d'une génération, entre rêves déçus et héritage trop lourd. Que signifie être né après la chute du mur de Berlin ? Entre délitement et paralysie, le spectacle souligne sans concession les contradictions de l'Europe contemporaine. Tenant à la fois de l'essai, du pamphlet et de la pure poésie, cet objet théâtral construit avec le groupe 43, douze comédiens sortis de l'Ecole du TNS en juillet 2017, ausculte le roman monstre de la modernité. Une expérience aussi puissante que déboussolante. 

1993
Texte Aurélien Bellanger
Mise en scène Julien Gosselin
Avec Quentin Barbosa, Genséric Coléno-Demeulenaere, Camille Dagen, Marianne Deshayes, Pauline Haudepin, Roberto Jean, Dea Liane, Zacharie Lorent, Mathilde-Edith Mennetrier, Hélène Morelli, Thibault Pasquier, David Scattolin
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Du 9 au 20 janvier 2018
Lundi, mardi, mercredi, jeudi et vendredi à 20h, samedi 13 à 18h, samedi 20 à 16h et dimanche à 16h
Relâches jeudi 11 et mardi 16
Avec le théâtre national de Strasbourg

T2G - Théâtre de Gennevilliers 
41 avenue des Grésillons - 92230
Tél : +33 1 41 32 26 26  



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.