Lundi Librairie : Je vais m'y mettre - Florent Oiseau



Je vais m'y mettre - Florent Oiseau : Fred, la quarantaine, enchaîne petits boulots sans lendemain et périodes de chômage. Il habite dans un appartement que lui loue son oncle. Il passe ses journées en rêveries solitaires devant la télévision, le son coupé, fantasmant sur Sophie Davant. Le soir au bistrot du coin, il boit des demis pour noyer le réel dans l'alcool. A attendre que l'amour lui tombe dessus, il s'interroge sur le sens de la vie depuis que Séverine l'a largué. Quotidien banal, où les knackis et poissons panés sont parfois remplacés par des steaks fauchés au Monoprix, Fred a fait de l'oisiveté un art. En fin de droits, il va bien être obligé de se remettre au boulot. Ce grand naïf inconséquent, prince des combines douteuses, glisse inexorablement dans les plans foireux et devient presque malgré lui, sans vraiment s'en rendre compte, juste pour rendre service, proxénète.

A travers ce parcours à la marge, Florent Oiseau dresse le portrait d'une époque gangrénée par les injonctions de réussite sociale. Fred, son anti-héros placide dont le seul fait d'arme a été sa qualité en tant que plongeur dans un restaurant, y semble indifférent. Loser magnifique à la Charles Bukowski, celui-ci n'y arrive pas, n'y est jamais arrivé, préférant la forme de liberté qu'il a trouvé dans sa dérive plutôt que l'aliénation de rentrer dans le rang. Cette personnalité attachante, velléitaire sans idéal mais pas cynique, est la figure ultime du procrastinateur patenté, le symbole d'une précarité qui frappe de plus en plus de monde.

Porté sur l'alcool, Fred se révèle incapable de faire les bons choix comme pour se punir, hanté par le souvenir de son petit frère renversé par un chauffeur ivre alors qu'il était allé lui chercher une nouvelle bouteille à l'épicerie. Et il ne porte pas tellement chance à ceux qui croisent son chemin, telles la vieille voisine initiée à l'art du petit verre qui réchauffe, petit verre qui avec ses médicaments se révélera cocktail fatal, ou encore l'aide à domicile tombée sur le trottoir pour nourrir sa famille.

Texte truculent, aussi jubilatoire que corrosif, Je vais m'y mettre tient de la tragi-comédie acide. Florent Oiseau a l'art de raconter des histoires tristes, à la limite du sordide, avec une gouaille ravageuse tout à fait réjouissante. Sens aigu de la formule, plume vive, humour décalé, il ponctue les errances existentielles de ses personnages de digression poétiques pour mieux saisir la terrible mélancolie des solitudes urbaines. Ces tribulations d'un chômeur indolent sont épatantes !

Je vais m'y mettre - Florent Oiseau - Editions Allary - Edition de poche Pocket



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.