Cinéma : Seule sur la plage la nuit, de Hong Sang-soo - Avec Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo



Meurtrie par une histoire d'amour avec un homme marié plus âgé, Young-hee, une jeune actrice coréenne, s'est réfugiée en Allemagne sur les bords de la mer du Nord pour faire le deuil de cette impossible idylle. Elle raconte à une amie qu'elle a laissé derrière elle sa carrière, ses amis pour fuir cet homme, qui se révèle être le réalisateur de la plupart des films dans lesquels elle a joué, avec tout de même l'espoir qu'il vienne la rejoindre. Lors d'une promenade sur la plage, elle rêve qu'il vient la retrouver. De retour en Corée, à Gangneung, une station balnéaire, Young-hee, pleine de colère et de désespoir, rejoint des amis de jeunesse. Lors d'un dîner bien arrosé, elle fait une scène leur reprochant de ne pas mériter le véritable, trop soucieux qu'ils sont de se plier aux injonctions de la société.






Film contemplatif, tourmenté à l'instar de son héroïne, Seule sur la plage la nuit cultive le mystère par sa construction morcelée, en deux parties poreuses qui se répondent jusqu'à se confondre dans certaines scènes. Si la continuité de ce puzzle insoluble demeure énigmatique, la clarté du trait, l'épure voulue par le réalisateur Hong San-soo s'inscrit dans la continuité d'une oeuvre impressionniste superbe, d'un cinéma expérimental acéré.

Ce portrait d'une idéaliste porté par le désir d'absolu est l'occasion pour le cinéaste de revenir sur ses obsessions artistiques et personnelles déclinant en variations infiniment complexes ses thèmes de prédilections, les rapports amoureux, le milieu du cinéma, le hasard, les coïncidences. Ce nouvel opus entre en écho avec la réalité de sa propre vie et son histoire d'amour avec Kim Min-hee, interprète du film, pour laquelle il a quitté sa femme, provocant un scandale en Corée. Si cet éclairage privé peut ouvrir certaines voies au sujet des quatre long-métrages qu'ils ont tournés ensemble, dans le cas de Seule sur la plage la nuit, la mise en abyme semble évidente tant est filée la métaphore de la relation entre l'artiste et sa muse.






A travers cette histoire d'amour malheureux, méditation sur le sentiment et la place qui lui est accordé dans nos vies, transparaît la beauté mélancolique du désenchantement. Hong San-soo ausculte les rouages complexes de la nature humaine pour mieux cerner l'émotion. La poésie fantasmatique des images et l'humour irrésistibles des dialogues se mêlent dans cette rêverie, conte onirique bientôt rattrapé par la réalité quand l'illusion des apparences se dissipe à l'occasion d'une ivresse tragi-comique. 

Kim Min-hee, Ours d'argent de la meilleure actrice à Berlin, incarne magnifiquement la quête éperdue de consolation, évanescente dans ses pérégrinations solitaires. Tout de désarroi ou d'épanchements furieux, elle fait vivre à l'écran l'irrépressible besoin d'exprimer désirs et envies. 




Le réalisateur glisse une critique à peine voilée de la société qui célèbre la performance plus que tout, égratignant au passage la lâcheté des hommes dans une confrontation brutale avec une héroïne déboussolée entre colère et désespoir. Alors que dans le deuil de la relation amoureuse, germe une certaine folie, il évoque puissamment la solitude de la condition humaine, sa force aussi. Un très beau film, d'une intense poésie.

Seule sur la plage la nuit, de Hong Sang-soo
Avec Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Jeong Jae-yeong, Kwon Hae-hyo
Sortie le 10 janvier 2018



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.