Nos Adresses : ERH, le restaurant gastronomique de la Maison du Saké - Paris 2



ERH, le restaurant gastronomique de la Maison du Saké emporte ses hôtes sur les ailes d'une expérience culinaire entre Tokyo et Paris. Ce curieux nom, acronyme, pour Eau Riz Homme, les trois éléments essentiels à la fabrication du saké, célèbre la vocation première du lieu dédié au culte de cet alcool de riz méconnu en France. Loin des préjugés, le véritable saké, à l'instar des grands vins, possède ses grands crus aux palettes aromatiques variées et complexes, expression des terroirs et du savoir-faire des maîtres brasseurs.  Le restaurant ERH, table discrète dont aucun indice ne suggère la présence depuis la rue, rend hommage à cette philosophie d'excellence. Le chef Keita Kitamura y engage un dialogue élégant entre deux cultures gastronomiques, déployant des nourritures franco-japonaises inspirées. Maîtrise des classiques hexagonaux, sensibilité nippone, il compose une cuisine résolument actuelle, très personnelle qui ne résiste pas à quelques trottinements modernistes piquants.











Le Saké-bar, la pâtisserie Ciel, Sola, le restaurant étoilé victime d'un incendie en début d'année, ces adresses ont marqué par leur originalité, célébration d'un certain art de vivre à la japonaise. A leur tête, le jeune entrepreneur Youlin Ly, sino-cambodgien par son père, franco-tunisien par sa mère, s'est fait un nom dans le paysage gastronomique parisien. Avec la Maison du Saké, il rend une nouvelle fois hommage à sa grande passion, le Japon, découvert à l'âge de dix-sept ans. 

Dans le quartier Montorgueil, cet ancien spa de 500 m2, reconverti en temple du saké est organisé en quatre espaces distincts. La boutique avec plus de 900 références de saké et de whisky s'ouvre sur une minuscule izakaya, le Kanpai Bar où se dégustent sakés et ostumami, savoureux tapas japonais. Au sous-sol, sous la voute de caves historiques, le Golden Promise s'arroge des privilèges de speakeasy pour un bar à whisky bien planqué, paradis des amateurs.

Notre visite du jour concerne le restaurant ERH lancé en juin dernier. Le dîner, du mardi au samedi, se déroule autour d'un menu dégustation unique en mode omakase, surprise du chef. Le détail des agapes est offert en fin de repas sur un joli parchemin roulé. Le déjeuner, pour le moment uniquement le vendredi et le samedi, se concentre autour d'une carte resserrée.











Depuis la boutique, un étroit couloir débouche sur un vaste espace sous verrière aménagé en loft contemporain. Derrière un long comptoir ondoyant, chêne clair et Corian, le chef Keita Kitamura officie, visage fermé par l'extrême concentration, un peu intimidant, au point que je n'ai pas osé aller le saluer à la fin du repas. Il m'arrive d'avoir comme dirait l'autre, des pudeurs de gazelle… Hashtag je suis niaise. L'ambiance est feutrée, le minimalisme de rigueur, l'épure zen, la lumière zénithale. De beaux bonzaïs ponctuent le décor de notes végétales.

Formé aux côtés du chef tokyoïte Yoshihiro Nariwasa, surdoué de la cuisine expérimentale, dont il deviendra le second, Keita Kitamura a poursuivi son parcours en France auprès de Pierre Gagnaire, puis Ghislaine Arabian dans son restaurant Les Petites Sorcières ou encore Jacques Lacipière, Les Anges et le Bon Accueil. Fine lame, Keita Kitamura pratique un entre-deux subtil, lançant des entrechats gracieux entre les répertoires français et japonais. Sa cuisine métissée fusionne les éléments propres à chacune des cultures gastronomiques dans un travail de précision où le perfectionnisme nippon, la finesse asiatique rencontrent les techniques tricolores. 

Les produits paysans, légumes de saison, racines anciennes l'inspirent tout autant que ses trouvailles d'origine italienne ou encore allemande. Créations poussées, nourritures ferventes au charme certain, ce jeune chef ourle de belles compositions ramassées pleines de promesses même si certaines peuvent paraître déconcertantes. Travaillant dans les acides comme à Tokyo, citations pointues de citron caviar, de radis râpé, il soutient l'équilibre de touches suaves à la rondeur souriante. Keita Kitamura ose et ses audaces sont souvent récompensées.









Le chef sommelier Lorenzo Genga, débit mitraillette, énergie chantante, nous fait l'article avec passion. Il nous suggère un saké de la brasserie Asahi Shuzi de la région de Chugoku. De la classe junmai daiginjô, sommet de l'art du brasseur, le Dassai 50 est un saké nihonshu d'une grande finesse. Produit artisanalement, sans mutage à l’alcool, il est composé à partir de riz dont le grain est poli jusqu'à 50% de son poids d'origine. Sa parfaite transparence illustre la pureté de l'eau utilisée lors du brassage. Les notes de fleurs blanches et la légère acidité fruitée de la pomme verte et du yuzu se parent d'une touche plus ronde de litchi en bouche que complexifie de subtils échos herbacés. Fraîcheur, élégance, douceur.

Les intitulés percutants de la carte, à peine une demi-ligne, suggèrent l'allégresse de portions raffinées. En amuse-bouche, le chinchard mi-cuit, chou rouge mariné miel et sésame, inspiré et goûteux, fait beaucoup d'effets dans sa simplicité ciselée.

En entrée, ma sœur choisit un Carpaccio de daurade royale, plaisamment balancé dont la belle précision fredonne sous les herbes folles. Nacre du poisson, fraîche créativité, l'assiette est bien vue, pleine de finesse. La Bisque de langoustine céleri rave qui lui fait face n'est pas en reste. Sincère, ce concentré de sensations pures, soie voluptueuse de la bisque, iode moelleuse des langoustines, croquant du céleri, subtilité des parfums, est épatant. 










La Poitrine de porc laqué, balsamique, racines de saison - à vue de nez je dirais, crosne, cerfeuil tubéreux, carotte ancienne, rutabaga - s'annonce tonitruante dans son esthétique affirmée. La viande fondante, le travail des textures joliment contrastées sont malheureusement assourdis par un laquage si rond, si intensément caramélisé qu'il en étourdit les saveurs.

En revanche, les Coquilles de Saint-Jacques poêlées, étuvée de navets, d'apparence monacale, brodent une partition délicate toute d'exigence ramassée où la note iodée de l'Osciètre, la douceur acidulée d'une sauce très intéressante parachèvent un tableau impeccablement maîtrisé.

Avenants, les desserts nous réservent quelques affables surprises. La Terrine de pamplemousse au Campari, Espuma de clémentine à la cannelle, joue sur d'élégants contrastes. Acidité, amertume, rondeur, chaleur de la cannelle, note verte de la marjolaine, croustillant, fondant, croquant, l'assiette a de l'allure et du répondant. 

La Pina Colada s'avance timide dans une ravissante petite tasse pour n'exprimer son caractère follement estival qu'à la première bouchée. Inspirée de la recette du célèbre cocktail, sa fraîcheur fruitée ensoleille cette fin de déjeuner.




Le vrai bémol de cette expérience, le service. Omniprésent, limite intrusif - j'adore quand quelqu'un surgit derrière mon dos toutes les trois minutes - il se veut élégant mais se révèle inutilement compassé, vaguement prétentieux voire presque condescendant lorsque j'ai le malheur de demander l'orthographe d'un terme prononcé avec un tel accent qu'il m'était impossible de deviner de quoi il s'agissait après avoir fait répéter le mot trois fois. Ah ! ce merveilleux petit pincement de bouche méprisant. Autant vous dire que j'ai rapidement renoncé à prendre des notes ou à poser des questions. Un peu de simplicité que diable.

Le restaurant étant encore en rodage, j'imagine que ce genre de désagrément devrait rapidement disparaître afin que seules les créations du chef Keita Kitamura, leur émotion douce, leur réflexion sereine se fassent entendre.

ERH
11 rue Tiquetonne - Paris 2
Tél : 01 45 08 49 37
Horaires : Du lundi au samedi dîner de 19h30 à 21h et déjeuner le vendredi et le samedi de 12h30 à 14h
Menu dégustation midi : 42 euros
Menu dégustation soir : 85 euros
Menu dégustation + accord découverte vins et sakés : 145 euros
Menu dégustation + accord prestige vins et sakés : 165 euros 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.