Lundi Librairie : L’immeuble Yacoubian – Alaa El Aswany



L’immeuble Yacoubian – Alaa El Aswany : Le Caire, les années 1950, ville monde, cité protéiforme, peuplée de grands bourgeois déchus, de nouveaux riches à l’ambition sans limite, de petites gens aux espoirs déçus dans laquelle règne une immense misère sociale, morale et sexuelle. Alaa El Aswany retrace la vie au sein d’un microcosme où cohabitent toutes les générations, toutes les classes sociales, l’immeuble Yacoubian, bâtiment délabré, symbole d’une époque révolue,  donnant lieu à une galerie de portraits truculents. Cette satire sociale, joviale et cruelle est un récit sans concession d’un pan de l’histoire égyptienne de la révolution nassérienne à la montée progressive de l’islamisme radical entre nostalgie d’un califat fantasmé et les élans de la modernité démocratique.

La plume de l’auteur nous emporte dans un voyage des sens dont la puissance d’évocation rend les mots palpables, un univers de son, d’odeurs, de couleurs. La rue pleine de vie, âpre et grouillante s’offre à la contemplation. Le roman profondément ancré dans la réalité conte sans concession ni parti pris le quotidien d’un peuple à la diversité méconnue. Alaa El Aswany brosse un portrait complexe et riche de la société égyptienne à partir d’un échantillon représentatif de la population qui malgré quelques stéréotypes parvient à nous toucher profondément.

Dans le roman, la sexualité catalyse fracture sociale et soif de liberté, au cœur des tabous d’une société sclérosée. Parmi les habitants de L’immeuble Yacoubian, il y a Zaki Bessouki, l’aristocrate déchu qui ne se remet pas de la chute du roi Farouk. Vieux monsieur très porté sur la bagatelle, il cherche réconfort auprès de la jeune Boussaïna prête à tout pour échapper à la misère. L’auteur évoque le thème l’homosexualité avec les amours interdites entre Hatem le journaliste et Abdou immigré africain.  

L’instrumentalisation de la religion par les détenteurs du pouvoir et leurs opposants, la montée de l’intégrisme, sont des thèmes récurrents. Ainsi l’on suit le destin de Taka, jeune homme méritant et studieux, recalé de l’académie de police par ostracisme social. Déçu par le système, révolté par le spectacle des injustices, il trouve refuge auprès de l’insurrection islamiste radicale. Ou alors la progression de ce faux bigot enlisé dans les affres de l’hypocrisie religieuse qui achète un siège à l’Assemblée Nationale.

Empruntant la forme romanesque classique du réalisme social, Alaa El Aswany dresse une fresque corrosive de l’Egypte : corruption politique, tortures policières, islamisme radical, affairisme, arbitraire. Avec un talent de conteur confirmé, l’auteur tisse une intrigue qui confronte le lecteur à tous les maux de la société égyptienne. Il nous livre un texte inspiré, fébrile dans lequel il fait tomber tous les tabous en parlant de l’homme, en incarnant les douleurs, les espoirs, les résignations du peuple cairote. L’immeuble Yacoubian est un chef d’œuvre du roman arabe moderne qui donne de nombreuses clés pour comprendre le Moyen-Orient contemporain.

L’immeuble Yacoubian – Alaa El Aswany – traduit de l’arabe par Gilles Gauthier - Editions Actes Sud, collection de poche Babel



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.