Lundi Librairie : La succession - Jean-Paul Dubois



La succession - Jean-Paul Dubois : Héritier d'une lignée de médecins, médecin lui-même de formation, le Toulousain Paul Katrakilis s'est exilé en Floride pour vivre de sa passion, la cesta punta, une variante de la pelote basque. Il mène une existence modeste entre les entraînements, les matchs au Jalaï-Alaï de Miami, son grand ami Epifanio, son improbable voiture une Volkswagen Karmann Ghia de 1961 dont le plancher est si rouillé qu'il laisse voir l'asphalte défiler, son petit bateau à bord duquel il persiste à naviguer malgré un mal de mer éprouvant, son chien Watson sauvé des eaux. Paul a su trouver une forme d'équilibre simple qu'un appel va bouleverser. Le Consulat de France le contacte pour lui annoncer la mort de son père, Adrian. Celui-ci s'est suicidé en se jetant d'un immeuble de huit étages, le visage emmailloté dans du ruban adhésif, mâchoire et lunettes maintenues en place, pour tout voir sans crier. Paul est contraint de s'arracher à son rêve américain pour revenir en France et s'occuper de la vieille maison familiale hantée par le souvenir des siens. Le grand-père Spyridon, ancien médecin de Staline qui a fui l'URSS emportant avec lui une lamelle du cerveau du "petit père du peuple" volée lors de l'autopsie, la mère Anna qui entretenait une étrange relation fusionnelle avec son frère, l'oncle Jules, au point de vivre ensemble même après le mariage de celle-ci. Et puis Adrian, médecin adulé par ses patients, étrangement insensible avec sa famille. Tous se sont donnés la mort. 

Chronique intimiste et désabusée, légèrement dépressive mais portée par un humour salutaire, La succession navigue entre deux eaux qui vont de la fantaisie du réel aux profondeurs graves du désenchantement. Jean-Paul Dubois, verbe précis, plume claire, parle du dérisoire de la condition humaine avec un sens aigu du grotesque et de l'absurde, une sinistrose qui n'exclut pas une certaine cocasserie légère.

La mélancolie lancinante de ce texte, sa générosité trouve sa pleine expression dans une galerie de personnages insolites, protagonistes décalés mais étrangement lucides.  La lassitude comique de l'anti-héros, inadapté au monde qui porte à nouveau le prénom de Paul, interroge la neurasthénie héréditaire tandis que l'auteur dans cette aboulie prégnante suggère une disposition particulière, la capacité de mettre le monde à distance afin de préserver les fragilités intimes. 

En équilibre entre la tragédie et la farce, le rire et les larmes, il déploie avec une grâce cette histoire déchirante et drôle dans laquelle il reprend inlassablement ses obsessions personnelles. Les voitures, la famille, l'idée de la transmission, de la filiation, celle de prendre la relève du père, les interrogations sur le bonheur, le sens de la vie reviennent à chaque ouvrage comme autant de motifs familiers.

Dans ce très beau roman, profond et bouleversant, Jean-Paul Dubois creuse le thème du deuil impossible tant que les questions restent sans réponse. Empêché de vivre par le poids de l'histoire familiale, son personnage principal a cherché à s'éloigner mais la mémoire de ses morts le rattrape, éclairant soudainement la méconnaissance qu'il avait de ses proches. Et dans la résignation mélancolique de Paul, sa nostalgie d'un bonheur entraperçu, résonne l'écho des possibles enfuis. 

La succession - Jean-Paul Dubois - Editions de l'Olivier - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.