Théâtre : Les jumeaux vénitiens, de Carlo Goldoni - Avec Maxime d'Aboville, Olivier Sitruk - Théâtre Hébertot



Deux jumeaux séparés à la naissance se retrouvent par hasard le même jour dans la ville de Vérone pour des affaires de cœur. Elevé à la campagne, Zanetto est un riche propriétaire terrien de Bergame un peu simplet voire franchement bas de plafond et assez couard. Il est venu faire sa cour à Rosaura, la fille du Docteur en compagnie de son valet Arlequin, lui-même promis à Colombine, la servante de Rosaura. Tandis que la bêtise de Zanetto refroidit singulièrement sa dulcinée, Pancrace, faux dévot épris de cette dernière, manigance pour faire échouer les noces. Tonino, le second jumeau, a grandi à Venise sans le sou. Citadin élégant et raffiné, bel esprit, il s'est rendu à Vérone incognito. Recherché pour avoir souffleté un grand seigneur, il y rejoint sa maîtresse, la divine Béatrice qui s'est enfui de chez son père pour le retrouver. La présence de celle-ci enflamme les cœurs et notamment celui de Florindo, grand ami de Tonino. Tandis que les deux frères ignorent chacun leur présence dans cette ville, leur ressemblance physique et leur caractère contrasté vont provoquer une multitude de quiproquos. 






Comédie italienne moderne, enfant de la comedia dell' arte dont on retrouve sans masque certains archétypes tels Arlequin et Colombine, Les jumeaux vénitiens de Carlo Goldoni joue sur les ambiguïtés de la tragi-comédie. Dans une nouvelle traduction de Jean-Louis Benoît qui ponctue le texte d'anachronismes délectables comme autant de clins d'œil au public contemporain, cette comédie de mœurs flirte avec le burlesque pour botter en mélancolie. 

Les très beaux décors signé Jean Haas, prolongent le sentiment général de dynamisme grâce à une scénographie modulable où poursuites et changements de lieu marquent le rythme effréné de la pièce. La mise en scène imaginée par Jean-Louis Benoît, de facture plutôt classique, est d'une efficacité redoutable. La partition originale y retrouve une vivacité réjouissante, une énergie communicative.





Dans ce jeu de miroirs faussés et d'illusions trompeuses, les comédiens se donnent tout entier, sans temps mort. La distribution impeccable interprète avec une jubilation palpable excès et truculences du chassé-croisé amoureux. Très en verve, Maxime d'Aboville à la fois Zanetto et Tonino est brillant, tour à tour sombre crétin et homme habile. Il maîtrise en virtuose cette double composition qu'il pare de nuances exquises pour différencier les tempéraments de chacun de ses personnages. 

Face à lui, Olivier Sitruk propose un Pancrace, incarnation italienne de notre Tartuffe, amoureux éperdu mais vénal avant tout, prêt à tout pour conquérir la main de Rosaura. Effrayant et pathétique dans sa jalousie, presque émouvant dans ses sentiments, la précision du comédien rend avec beaucoup de finesse la noirceur de ce personnage inquiétant. Benjamin Jungers en Arlequin et Agnès Pontier en Colombine sont particulièrement savoureux.




Mariages compromis, trahisons, rivalités amoureuses, faux-semblants, duplicité, les péripéties sentimentales des deux frères tendent vers d'improbables situations où méprises et imbroglios assurent le spectacle. La loufoquerie formelle de la pièce permet d'épingler les aspérités d'une société dont Goldoni croque malicieusement les travers, prolongeant la réflexion sur la condition de la femme. Les scènes drolatiques au service d'un propos déploient l'étendue d'une satire sociétale pointue, dénonçant au passage les mariages arrangés, la marchandisation des jeunes filles, la confusion des valeurs. Un superbe moment de théâtre.

Les jumeaux vénitiens, de Carlo Goldoni
Du mardi au samedi à 21h, samedi à 16h30, dimanche à 16h

Adaptation et mise en scène : Jean-Louis Benoît
Avec Maxime d’Aboville, Olivier Sitruk, Victoire Bélézy, Philippe Berodot, Adrien Gamba-Gontard, Benjamin Jungers, Thibault Lacroix, Agnès Pontier, Luc Tremblais, Margaux Van Den Plas
Décors : Jean Haas, assisté de Bastien Forestier. 
Lumières : Joël Hourbeigt
Costumes : Frédéric Olivier
Collaboration artistique : Laurent Delvert

Théâtre Hébertot 
78 bis boulevard des Batignolles - Paris 17
Tél réservations : 01 43 87 23 23

 


Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.