Théâtre : Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès - Avec Mata Gabin et Charles Berling - Manufacture des Oeillets, Théâtre des Quartiers d'Ivry



Quartier chaud d'une grande ville, une ruelle sombre, propice aux rencontres licencieuses, aux étreintes furtives, aux trafics illicites. Au cœur de la nuit trouée de néons tristes, s'élèvent des voix. Une silhouette se découpe dans l'ombre d'une passerelle à moitié écroulée. Un dealer en attente. Il affirme pouvoir satisfaire tous les désirs d'un client, hésitant, fébrile. Client qui dit ne pas avoir de désir, aurait bien voulu qu'on le lui suggère, qu'on le lui restitue. Entre le dealer qui n'a rien à vendre et le client qui n'a pas d'envies, le jeu de la transaction sans objet, étrange commerce, fouille les  coeurs et les reins, dans une danse qui ressemble à des préliminaires.





De la forme classique la plus pure à la gouaille des éclats triviaux, le verbe ciselé de Koltès déploie ses fulgurances poétiques. Initiant le trouble d'un dialogue de sourd, l'auteur s'attache à chorégraphier une joute verbale où l'attraction et la répulsion se répondent dans un même élan. Quête de sexe, de drogue, d'interdit ou encore d'humanité, Dans la solitude des champs de coton explore l'incommunicabilité, la solitude à laquelle sont condamnées les êtres errants. Mystère insondable des âmes rendu sensible, questionnement métaphysique. A la pulsion de vie et de mort répond la peur de l'autre, de ses propres désirs, la solitude.

Charles Berling propose une lecture nouvelle de la pièce créée par Patrice Chéreau en choisissant une distribution mixte alors que l'original envisageait plutôt deux hommes. Inversion des stéréotypes de genre, le dealer devient femme sous les traits de Mata Gabin, fascinante. Créature androgyne sous sa capuche, elle incarne la puissance ombrageuse, le monde de la nuit. Costume arraché comme après une rixe, Charles Berling interprète avec beaucoup de finesse un client fragile, incertain dont la faiblesse contraste avec la vigueur conquérante de sa partenaire.





La mise en scène entretient le trouble entre sensualité et aridité, installant progressivement une tension qui renforce les rapports dominant, dominé. Le conflit semble inévitable. Dans ce temps suspendu, hors du monde, la ville prend forme à travers un décor monumental impressionnant pensé par Massimo Troncanetti qui renforce la sensation de touffeur d'une nuit zébrée de lumières signées Marco Giusti. Dans ce décor asphyxiant, les corps s'absentent, apparaissent, présence troublante. Exigence physique, précision, Economie de gestes, exigence physique de la performance, précision de chorégraphie, les personnages se tournent autour tels deux animaux. Ils s'esquivent, se touchent, se gardent à distance tandis que l'intimité des voix s'affirme.




La soudaine alchimie mystérieuse dépasse, dans la proposition de Charles Berling, l'érotisme de la chair pour s'évader dans l'espace mental né de l'affrontement de deux êtres. Dans le désir non-exprimé de transgression, le fiévreux dialogue d'ombres tourne au dialogue philosophique. Quête d'une altérité radicale ou de son propre reflet dans le regard de l'autre, la rencontre avorte car l'amour n'existe pas et la mort rôde.

Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès
Projet original de Charles Berling et Léonie Simaga
Mise en scène de Charles Berling
Avec Mata Gabin et Charles Berling
Jusqu'au 22 octobre 2017

Manufacture des Œillets du Théâtre des Quartiers d'Ivry 
1 place Pierre Gosnat - 94200 Ivry-sur-Seine
Tél : 01 43 90 11 11

En tournée 
- Le 2 novembre, au Liberté (Toulon)
- Du 8 au 10 novembre, au Théâtre du Gymnase (Marseille)
- Le 18 novembre, au Carré (Sainte-Maxime)
- Le 24 novembre, à l'Aggloscènes - Théâtre Le Forum (Fréjus)



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.