Théâtre : 12 millimètres de Vincent Juillet et Melissa Drigeard - Avec Julien Boisselier - Théâtre de l'Oeuvre



Fils d'un grand chef, Jean-Jacques Detoque a prolongé la lignée. Il a embrassé l'héritage familial devenant une sorte de double moderne de son père et mentor sans jamais s'interroger sur ses véritables désirs profonds. Star des programmes culinaires télévisés, il a tout pour être heureux, une belle famille, la réussite professionnelle, la popularité. Très caustique, autoritaire, il est exaspérant de suffisance et mène ses équipes à la baguette. Une émission spéciale de Bonjour la France ! doit célébrer ses vingt-cinq ans de carrière. Durant celle-ci, Jean-Jacques Detoque, très nerveux, a prévu de préparer six recettes de bécasses en même temps mais lors du tournage, en pleine crise existentielle, le chef dont la santé mentale vacille peu à peu, sombre dans un délire névrotique.






Seul en scène, Julien Boisselier incarne un personnage à vif, tout en failles, obsédé par la mort et la chute. Cette chute est symbolisée, à ses yeux, par les câbles électriques sillonnant le plateau de télévision et dont le diamètre, douze millimètres, a donné le titre de la pièce. Douze millimètres, c'est aussi le calibre du revolver que le chef brandit en menaçant de mettre fin à ses jours. 

Entre surmenage et pétage de plomb, cette âme chancelante se révèle dans la plénitude d'un monologue comme un grand moment de vérité intime. Aussi imbu de sa personne que touchant, il partage ses angoisses avec le spectateur tandis que son assistante en voix off, Sara Giraudeau, tente d'intervenir. Le jaillissement de la parole est une sorte de folle transe libératrice où transparaît toute la sincérité de son désespoir. Au bord de l'implosion, ce chef, dont la soudaine prise de conscience se traduit par des troubles physiques et mentaux, réalise qu'il s'est oublié en route pour poursuivre l'héritage de son père. 




Audacieuse, transgressive, la mise en scène de Julien Boisselier élaborée avec la collaboration artistique de Morgan Perez et Leila Moguez et ponctuée par les créations musicales signées Pierre Tirmont dépasse les codes conventionnels. Les performances culinaires transmettent une sorte d'énergie étrange, un décalage trouble entre réalité et fiction. Alors que les spectateurs se retrouvent pris dans l'action de la pièce comme s'ils étaient le public du plateau de télévision où se tourne l'émission, un équilibre se crée entre le jeu sur le plateau et les vidéos réalisées par Karim Adda. Le procédé trouve sa pleine dimension lors de l'interview de la journaliste de Psychologie magazine interprétée par Frédérique Tirmont.

Humour à froid, révélations, confidences, la pièce interroge le sens de la vie, les choix qui déterminent notre existence, le poids de la filiation, la complexité du bonheur et croque avec acidité le milieu de la télévision, microcosme des apparences et de la vacuité.

12 millimètres de Vincent Juillet et Melissa Drigeard
Avec Julien Boisselier et la participation de Frédérique Tirmont et Sara Giraudeau
Mise en scène Julien Boisselier

Théâtre de l'Oeuvre
55 rue de Clichy - Paris 9
Réservations : 01 44 53 88 88



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.