Lundi Librairie : Histoire de la violence - Edouard Louis



Histoire de la violence - Edouard Louis : Le soir de Noël 2012, Edouard rentre chez lui après un Réveillon chez des amis. Cadeaux sous le bras, il traverse la place de la République à 4h du matin lorsqu'il est abordé par Reda, un qui lui propose d'aller prendre un verre, de prolonger la soirée ensemble. Tout d'abord méfiant, Edouard est séduit par celui-ci et l'invite dans son studio. Reda lui raconte l'histoire de son père, un travailleur immigré kabyle, entre exclusion, humiliation, violence du système, un récit qui entre en écho avec les propres origines populaires d'Edouard, lui qui a fui pour reconstruire son passé. Ils font l'amour, discutent jusqu'à l'aube. Alors que Reda s'apprête à partir, Edouard s'aperçoit que son iPad et son téléphone ont disparu. Il lui fait remarquer et déclenche la colère du jeune homme qui le frappe, l'étrangle avec son écharpe puis le viol avant de s'enfuir. Aux urgences où lui est proposée une trithérapie préventive, Edouard hésite à porter plainte, excuse son bourreau, victime de la société. Entre honte et culpabilité, la déposition au commissariat est une épreuve supplémentaire, il se voit comme un dénonciateur.

De cette brève rencontre amoureuse qui tourne au drame, au-delà de l'autobiographie, de l'autofiction, Edouard Louis donne un témoignage personnel introspectif, puissant, vertigineux. Charge contre la société qui créée l'exclusion, dénonciation de la brutalité du système qui contamine les relations, Histoire de la violence explore la façon dont les victimes de cette violence sociale la reproduisent.

Du drame intime, l'auteur extrait un roman social, se réappropriant, par ce biais, une histoire confisquée par les rapports de police, les comptes rendus médicaux, le monologue de sa sœur à qui il s'est confié et qu'il écoute raconter son interprétation des faits à son mari. La narration polyphonique fait entendre les voix, les milieux sociaux, la violence des mots à travers la variation des niveaux de langue. Il y a celle d'Edouard, le normalien à laquelle les études ont donné la capacité de la réflexion. Celle de Reda marquée par l'exclusion et puis il y a aussi les mots de la sœur, ceux d'un certain prolétariat, syntaxe approximative et coloration singulière du nord de la France.

Succession de huis clos, le studio, l'hôpital, le commissariat, le récit construit autour d'une architecture en prolepse et analepse qui abolit le temps pour donner une réalité au jaillissement de la pensée suit le surgissement du souvenir dans une composition expressive. La virtuosité du dispositif romanesque donne chair à la réalité, offrant à la quête de vérité une possibilité de parole renouvelée pour ne pas se résigner à la haine.

En mettant en scène le réel, pour soulager la souffrance, surmonter le traumatisme et la honte, Edouard Louis produit une réflexion sociologique et politique, acte littéraire qui interroge la relation à l'autre, le racisme ordinaire, l'homophobie, l'origine de la violence. Dérangeant, brillant.

Histoire de la violence - Edouard Louis - Editions Seuil - Edition de poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.