Expo : Chiharu Shiota, Destination - Galerie Daniel Templon - Jusqu'au 22 juillet 2017



Dans un processus d'engloutissement visuel, l'artiste Chiharu Shiota fait disparaître les objets et les corps emprisonnés. Tendant des fils à travers une pièce, toile d'araignée gigantesque, elle redéfinit l'espace, réinvente les volumes, trace des plans virtuels. Murs, sol, plafond changent de dimension comme autant de cieux accumulés que l'artiste s'approprie pour mieux les dispersés à son gré. La finesse de ces oeuvres tentaculaires procède d'un mystère mystique. Leur plasticité manifeste oscille entre féérie et monumentalité dans un mouvement paradoxal qui va de la gracilité à la monstruosité, de l'onirisme au cauchemardesque. Fascination de sortilège, le travail de Chiharu Shiota joue avec les codes culturels, les mythes fondateurs des civilisations, les notions psychanalytiques. Jusqu'au 22 juillet prochain, la galerie Daniel Templon présente une installation immersive troublante ainsi que quelques œuvres de cette tisseuse de songes.








 


La mise en place des installations destinées à des espaces spécifiques est elle-même une performance méditative. Proche du tissage traditionnel, ce ballet aérien qu'animent Chiharu Shiota et ses assistants déploie peu à peu sa chorégraphie gracieuse, vision poétique troublante. Jeu labyrinthique de pleins et de déliés, l'installation principale de l'exposition Destination dépasse la simple narration et l'émotion théâtrale de la performance pour toucher aux formes de l'inconscient. La simple traversée du lieu plonge le visiteur au cœur même de cette oeuvre in situ, cette toile d'araignée qui pourrait bien être celle de la Maman de Louise Bourgeois. L'atmosphère organique de la nuée sanglante des fils tendus, complexe et dense, fait chavirer l'espace dans une lueur rouge palpitante, une couleur vibrante comme une pulsation vitale répondant selon les mots de l'artiste à "l'idée d'une lumière qui respire". 

Symbolique forte et vocabulaire plastique explicite, le travail de Chiharu Shiota évoque celui des Parques, ces divinités grecques qui filent le destin des hommes et président à l'évolution de l'univers dans un cycle de vie et de mort nécessaire. Cette expérience d'un espace mental rendu concret renvoie vers des interrogations métaphysiques et existentielles. La présence monumentale de cette installation qui semble déborder du simple lieu physique renvoie aux sensations éprouvées à travers les oeuvres de Yayoi Kusama.







 




 Chez Chiharu Shiota, le merveilleux se teinte d'une certaine angoisse. Le sentiment de protection matricielle expérimenté dans le ventre de la mère comme au cœur de ses installations est empreint d'une sensation d'oppression, de sourde menace. La douceur mélancolique se teinte d'une inquiétude prémonitoire. L'oeuvre arachnéenne fait appel à la psyché comme une invitation à explorer les replis de la mémoire, "les sentiments noués, emmêlés, distendus", les connexions entre les hommes. L'espace poétisé dans la fragilité troublante d'une expérience plastique, esthétique et émotionnelle, convoque les souvenirs, réminiscences qui soulignent les absences. L'installation devient extension du corps, cocon protecteur avant la métamorphose ou bien piège d'un prédateur invisible.

Les objets pris dans les rets de l'artiste racontent tous une histoire. Echeveau en réseau vaporeux, lignes tracées dans l'espace de la galerie Templon, les fils entrelacés forment une gigantesque toile de nylon écarlate dans laquelle est emprisonné un canoë. Intriqué dans le maillage auquel il appartient, il glisse dans l'éther des mondes parallèles ouverts par la plasticienne, métaphore des destinées humaines. Evoquant le périple de l'existence fait de rêves et d'espoirs, d'incertitudes, d'échecs, de douleurs, il vient illustrer ce mot de Chiharu Shiota "La vie est un voyage sans destination".  Ce bateau fait songer à la barque de Charon navigant sur les flots du Styx entre la vie et la mort tandis que le cycle naturel du jour et de la nuit, trouve dans le flamboiement de la pourpre un horizon rasant surréaliste.









A cette installation spectaculaire viennent s'ajouter deux sculptures singulières et trois toiles. Dans de grandes boîtes, des objets flottants pris dans la toile délivrent des messages qui entrent en échos avec les drames de notre monde, notamment celui de Fukushima que Chiharu Shiota, native d'Osaka vivant et travaillant à Berlin, a souvent évoqué dans ses œuvres.

Chiharu Shiota - Destination
Du 20 mai au 22 juillet 2017
Galerie Daniel Templon
30 rue Beaubourg - Paris 3
Horaires : du mardi au samedi de 10h à 19h - Fermé le lundi et le dimanche 
Entrée libre



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.