Théâtre : Votre maman de Jean-Claude Grumberg - Avec Catherine Hiegel, Bruno Putzulu - Théâtre de l'Atelier



Jean va voir régulièrement à sa mère dans une maison de retraite médicalisée où le directeur est un peu dépassé par le comportement fantaisiste de la vieille dame. Emprunt de fauteuil roulant aux autres pensionnaires, usage intempestif de parapluie contre ses voisines qu'elle trouve envahissantes, si celle-ci n'a plus toute sa tête, elle fait preuve d'une belle vitalité. A travers les brèches de sa mémoire défaillante, elle ne reconnaît pas toujours Jean qu'elle confond avec le directeur et se plaint à lui du peu de visites de son fils. Les souvenirs épars de son enfance marquée par la Shoah refont surface avec intensité alors qu'elle oublie ce qui s'est déroulé cinq minutes plus tôt. Un jour, le directeur annonce à Jean que sa mère a disparu.






Histoire de mémoire individuelle et collective, de transmission aussi, Votre maman trouve dans l'humour la force d'évoquer le drame intime avec pudeur, subtilité. De rencontres cocasses en quiproquos, les cinq visites comme cinq intermèdes sont autant de moments d'humanité poignants à travers lesquels la dérision salvatrice se fait force de vie. L'intelligence du texte de Jean-Claude Grumberg déroutant, rythmé, s'exprime jusque dans les silences d'absence sur le fil tendu du souvenir.

La locution "votre maman" débute les phrases du personnel soignant dans un comique de répétition qui contamine le récit. Alors que sa mémoire s'effiloche, tour à tour fragile, rebelle, incisive, la mère gagnée par l'amnésie et la maladie redevient peu à peu l'orpheline fugitive d'un passé douloureux. Vivacité des dialogues qui flirtent avec l'absurde, échanges décalés entre les protagonistes, malentendus et incompréhensions, les éclipses de la conscience se manifestent avec d'autant plus d'intensité que resurgit le souvenir aigu de la mère de la vieille dame, morte à Auschwitz. 

La mère, le fils et le directeur évoluent à travers un dispositif scénique minimaliste, décor clinique de la maison de retraite, couloir d'établissement médicalisé depuis lequel s'aperçoivent les ombres du parc projetées sur des écrans évolutifs. Epurée, la mise en scène imaginée par Charles Tordjman se recentre sur le jeu des comédiens.




Catherine Hiegel, lumineuse, donne vie à son personnage avec générosité. Dans le flottement des regards, l'hésitation d'un geste, elle incarne avec subtilité l'absence à soi-même. Drôle, touchante, elle est magnifique. Tout d'intensité contenue, Bruno Putzulu court après le temps dans son rôle de fils qui n'est pas prêt pour le départ de sa mère. Philippe Fretun est épatant dans son interprétation du directeur obnubilé par des problèmes d'intendance et débordé par la situation. 

A la fois grave et joyeuse, sans jamais aucun pathos et pourtant avec beaucoup d'émotion, Votre maman interroge la réalité d'une fin de vie et la notion d'héritage. Une pièce très forte, très intelligente.

Mise en scène Charles Tordjman
Avec Catherine Hiegel, Bruno Putzulu, Philippe Fretun et Paul Rias
Du mardi au samedi à 19h - Matinée le dimanche à 16h

Théâtre de l'Atelier
1 place Charles Dullin - Paris 18
Réservations et informations : 01 46 06 49 24



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.