Lundi Librairie : Des femmes qui tombent - Pierre Desproges



Des femmes qui tombent - Pierre Desproges : A Cérillac, un insaisissable tueur en série s'attaque aux femmes du village. Il y a d'abord eu Adèle Serpillon, la mercière, fendue en deux avec un grand couteau à viande, puis Monique Poinsard, la secrétaire de mairie, poussée dans un puit et Gilberte, l'aubergiste, pendue un sac en plastique sur la tête. La police débarque. Le docteur Jacques Rouchon, généraliste qui noie son spleen dans le Picon-bière mène l'enquête en parallèle secondé par François Marro, un journaliste amateur de belles lettres et pochtron notoire. Seul indice reliant les meurtres, un cadavre de moustique retrouvé sur les corps. 

Réédition de l'unique roman du très regretté Pierre Desproges, Des femmes qui tombent est une fable loufoque à la causticité salvatrice mêlant drôlerie et pertinence, lyrisme et mélancolie. Ce polar rural farfelu qui tourne rapidement à la science-fiction incongrue se révèle par essence corrosif sous la plume libertaire de l'humoriste désenchanté. Tour à tour satiriste et styliste, Desproges nous embarque sur les traces de l'épicier Boucharoux adepte des potins pas nets, le boucher Henri Labesse, surdoué du poncif ou encore le Père Montagu, le curé libidineux, trio d'anthologie qui croise des extraterrestres mangeurs de pneus se transformant à volonté en bouteille de Châteauneuf-du-Pape.

L'auteur dresse le portrait acide d'une certaine ruralité façon pour lui de torpiller le Français moyen. "Adeline Serpillon appartenait à cette écrasante majorité des mortels que l'on n'assassine pratiquement pas... Elle était moyenne avec intensité, plus commune qu'une fosse, et d'une banalité de nougat en plein Montélimar." Lieux communs, voyeurisme, hypocrisie, racisme, rejet de la différence quelle qu'elle soit, les mystères provinciaux prennent un sérieux coup dans l'aile. Mais sous cette misanthropie parodique, cet art du politiquement incorrect, sommeille l'indicible tendresse, l'infinie bienveillance d'un auteur dont le cynisme se fait acuité nécessaire. La bien-pensance passée au fil du verbe féroce est un spectacle libérateur des plus hilarants. 

Verve du pamphlétaire, intrépidité du provocateur, Pierre Desproges en farceur polymorphe flirte volontiers avec l'absurde pour mieux souligner la vanité de la condition humaine.  L'érudit hilare ploie la syntaxe malmène la phrase, cisèle la langue et nous livre jeux de mots et contrepèteries, néologismes poétiques, calembours et apophtegmes. Concision de l'esprit vif, tournures au cordeau, précision d'orfèvre, son évident plaisir d'écrire devient plaisir de lire et peu importe si la trame de l'histoire a du mal à suivre. Grinçant, sarcastique, cinglant, en un mot jubilatoire.

Des femmes qui tombent - Pierre Desproges - Editions Seuil - Réédition poche Points



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.