Théâtre : La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès - Mise en scène Jean-Pierre Garnier - Avec Eugène Marcuse - Théâtre de Poche Montparnasse

Crédit Théâtre de Poche Montparnasse


Nuit pluvieuse dans une ville hostile soudain désertée, un jeune homme, un étranger, vient d'être passé à tabac par des loubards qui lui ont fait les poches. Il erre un peu ivre dans les rues, blessé et désespérément seul quand il tente de retenir par les mots un inconnu croisé par hasard. Se fait sentir le besoin irrépressible de se raconter, de partager, d'aimer. Et en retour un silence énigmatique. Appel de détresse, cri d'amour, il dit les galères, l'exclusion, la haine, le rêve d'une vie meilleure, le désarroi, la marginalité, l'impossibilité de se soustraire au désir, la solitude.


Crédit Théâtre de Poche Montparnasse

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Pièce exigeante d'une rare densité, La nuit juste avant les forêts bat au rythme d'un souffle vital, celui posé de la scansion singulière de son interprète. A travers les répétitions obsessionnelles de leitmotiv, le jeu complexe des digressions, s'élève un chant d'amour et de mort, empreint d'animalité et de spiritualité. 

Politique, humain, le texte de Koltès associe le lyrisme et la trivialité dans une transe poétique sauvage et familière. Le flux torrentiel des mots, déversement de la parole fleuve, suit le courant de conscience dans une rythmique obsédante chargée d'émotion. Cette longue phrase sans point est construite en spirale, structurée en un cycle où reviennent sans cesse des leitmotivs obsessionnels. Ronde vertigineuse, les variations infinies sur un même thème explorent la musicalité d'une écriture fuguée, jusqu'à l'éblouissement.

Parcouru par les fulgurances d'une poésie où se mêlent la force de l'oralité et le lyrisme de la langue écrite, ce soliloque au caractère énigmatique évoque la perte de l'innocence, l'exclusion, le rejet et l'espoir toujours, et le désir encore. Alors que la folie rôde au cœur de la solitude, que la mort se rapproche inexorablement, les mots se diffusent incontrôlables, pulsions fugitives, souffle irrépressible qui fait affleurer les profondeurs de l'âme. 





Belle présence, Eugène Marcuse incarne avec intensité la difficulté d'être et de la fureur de vivre. Il interprète cette danse fascinante de la parole salvatrice, corps en tension, justesse ardente, chorégraphie frénétique et pudique dans une mise en scène de Jean-Pierre Garnier épurée très organique. 

Dans un décor de miroirs brisés, épure d'ombres et très belles lumières signés Yves Collet, c'est tout le drame de la condition humaine qui s'exprime dans ce face-à-face où seul l'un des interlocuteurs s'exprime tandis que l'autre se trait obstinément. Absent de la scène, cet inconnu est-il seulement réel ? Le spectateur comble les lacunes du récit, laisse flotter les suppositions pour ne pas laisser les questions en suspens. Fiévreux, frénétique, tendre aussi et déchirant surtout, bouleversant tout simplement.

Mise en scène Jean-Pierre Garnier
Avec Eugène Marcuse

Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse - Paris 6
Réservations 01 45 44 50 21



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.