Paris : Imbroglios autour du Défenseur du Temps, une horloge automate signée Jacques Monestier - Quartier de l'Horloge - IIIème [EDIT OCT 2022 : l'oeuvre horlogère vient d'être restaurée à l'initiative du plasticien Cyprien Gaillard et grâce au soutien de la Fondation Lafayette Anticipations]



Dans le très minéral quartier de l'Horloge, au cœur du Marais, un artefact singulier fait silence depuis maintenant plus de dix ans. Juché sur un rocher, un homme brandissant un glaive et un bouclier lutte contre les éléments symbolisés par des animaux. Le crabe représente la mer, le dragon la terre, l'oiseau le ciel. Cette curieuse horloge, "Le Défenseur du Temps", est l'oeuvre de Jacques Monestier, qui se définit comme un sculpteur d'automates, gardien d'un art ancien qu'il fait revivre en utilisant les techniques les plus modernes. Ses sculptures animées, fruit d'un long travail de passion et de patience, appartiennent à un patrimoine d'artisanat d'art dont le savoir-faire disparaît peu à peu. Inauguré le 8 octobre 1979, longtemps pôle d'attraction de ce nouveau quartier construit à la fin des années 70, "Le Défenseur du Temps" connaît aujourd'hui des heures sombres. L'imbroglio relatif au coût de la maintenance a fait cesser le combat livrant l'horloge aux pigeons. 








A la fin années 70, sous l'impulsion de la Cogedim, un promoteur immobilier, l’architecte et urbaniste Jean-Claude Bernard réalise une partie de son concept de ville totale sur la friche laissée par la destruction de l'ilot Saint-Martin jugé insalubre. A la place de l'enchevêtrement des ruelles héritées du Moyen-âge s'élève un ensemble d'immeubles privés, nec plus ultra du modernisme dans le même esprit que la place des Fêtes. 750 appartements, 7000 m2 de bureaux, 1 100 places de parking, 20 000 m2 pour 75 commerces tout de béton vêtus. Un sort qui aurait bien pu à l'époque toucher tout le Marais sans l'intervention de Malraux notamment. 

En 1975, la Cogedim commande à Jacques Monestier une horloge monumentale qui donnera son nom à ce nouveau quartier. Sa réalisation durera trois ans. Installée en septembre 1979, "Le Défenseur du Temps" est inauguré un mois plus tard en présence de Jacques Chirac alors maire de Paris. L'ASLQH, association syndicale libre du quartier de l'horloge, en charge de tous les moyens communs de l'ilot, réseau électrique, eau, chauffage, dalle, éclairage, gérera l'entretien de l'automate dont la chorégraphie savante marque le temps qui passe.






Entre 9h et 22h, chaque heure, trois coups frappés sur un tambour marquent le début des hostilités, du spectacle comme au théâtre. Selon un programme aléatoire, l'homme armé est attaqué par l'une des créatures dont l'animation est annoncée par une bande sonore. Le déferlement des vagues préfigure le crabe, le grondement de la terre le dragon et le souffle du vent pour l'oiseau. A 12h, 18h et 22h, le combattant doit faire face aux trois animaux en même temps. L'ensemble qui compose "Le Défenseur du Temps" mesure quatre mètres de hauteur et pèse plus d'une tonne. La structure des rochers en laiton oxydé sur laquelle sont perchés les différents éléments a été exécutée par Alain Moirod. 

Caparaçonnés de laiton martelé doré à la feuille, les automates sont mus par des vérins pneumatiques. Le martelage des écailles du dragon a été réalisé par Louis Desouches. Dans la configuration originelle datant de 1975, l'horloge-mère électronique à quartz commandait le programmateur de hasard composé de six programmateurs à cames et cinq magnétophones. A la suite de la restauration de 1995, l'horloge-mère à quartz est remplacée par une horloge radio -pilotée et les magnétophones par un lecteur de CD.

Les ennuis du "Défenseur du Temps" débutent en 1992 lorsque l'ASLQH décide de ne plus assurer les dépenses d'entretien de l'horloge qui est arrêtée. Celle-ci est réactivée en 1995, à la suite d'un accord avec la municipalité qui prévoit une subvention pour la restauration et l'entretien. Subvention remise en cause en 2002 puis supprimée en 2003 car l'horloge se trouve sur un domaine privé et donc ne dépend pas des deniers publics. 








En 2003, après avoir poursuivi gratuitement l'entretien pendant six mois, Jacques Monestier arrête à nouveau l'automate par mesure de sécurité. Afin de sauver "Le Défenseur du Temps", une pétition est lancée par l'association ASSACTIVE de l'Horloge. Elle reçoit 600 signatures. Une aide est envisagée par la mairie mais celle-ci ne peut pas englober la totalité des dépenses de maintenance, l'horloge appartenant à un propriétaire privé. Le manque de communication entre l'administrateur de biens Loiselet et Dargemont et la mairie mène au statu quo tandis que l'ASLQH se défausse. 

Entre 2004 et 2005, des artisans sont consultés afin de trouver une société susceptible de restaurer et d'assurer l'entretien de l'automate. Monsieur Tripet, un artisan suisse intervient sur l'horloge et la remet en route en février 2005 sans en assurer la maintenance faute de financement. Rapidement, le fonctionnement du "Défenseur du Temps" est altéré par les conditions normales d'utilisation telles que la météo, l'humidité plus particulièrement, les pigeons. L'horloge endommagée tombe en panne au bout de quelques mois.

En 2006, Monsieur Tripet propose un devis de 183 000 euros pour la restauration et 12 000 euros par an pour l'entretien. La Mairie de Paris accepte de prendre en charge 60% de l'investissement initial mais pas les frais de maintenance. L'ASLQH jugeant les sommes à sa charge trop importantes repousse la proposition. A la demande de l'ASSACTIVE en accord avec l'ASLQH, Jacques Monestier établit en 2008 un nouveau devis pour la remise en état de 138 000 euros plus 18 000 euros par an pour l'entretien. La recherche de mécènes pour financer ces charges échoue.







En 2014, alors que les dégâts empirent, Jacques Monestier actualise son devis. 154 000 euros pour la rénovation et 1 500 euros par mois d'entretien. L'association AMISMO est créée en janvier 2014 afin de "contribuer par tous moyens au financement de l’entretien des sculptures réalisées par Jacques Monestier, sculpteur d’automates, qui se situent à Paris ou en province dans des lieux accessibles au public et qui nécessitent des fonds pour être remises en état ou pour fonctionner correctement". Une lueur d'espoir qui ne fait pas long feu. Les travaux prévus en 2014 pour célébrer les 35 ans de l'horloge sont repoussés en 2015 par l'ASLQH qui jugent les frais d'entretien trop élevés.

Le projet de restauration est soumis à la Mairie en 2015 dans le cadre du budget participatif. Il est une nouvelle fois est rejeté du fait que l'horloge appartenant à un propriétaire privé ne se trouve pas dans le domaine public. Un spécialiste des automates propose un nouveau devis moins onéreux 131 000 euros pour la réfection et 1 200 euros par mois pour l'entretien mais Jacques Monestier échaudé par l'expérience précédente et les mauvais traitements infligés au "Défenseur du Temps" en 2005 fait valoir son droit moral sur son oeuvre refusant qu'un tiers intervienne sur celle-ci. A bout de souffle et d'alternatives, l'association AMISMO est dissoute le 17 novembre 2015.

Les différents partis ne parvenant pas à un accord, la situation semble inextricable. Quartier boudé, ilot en panne, horloge devenue pigeonnier, la solution est à réinventer.

Le Défenseur du Temps de Jacques Monestier
Quartier de l'Horloge 
8 rue Bernard de Clairvaux - Paris 3



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


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