Lundi Librairie : LoveStar - Andri Snær Magnason



Les oiseaux migrateurs, les abeilles et les papillons monarques, rendus fous par les émissions électromagnétiques des appareils électroniques perdent le nord. Une équipe de chercheurs islandais menée par le mystérieux LoveStar fait une découverte qui va libérer le monde des fils électriques. Cette nouvelle technologie s'inspire du système de navigation qui permet la migration des sternes arctiques. Elle engendre un moyen de communication innovant intégré aux connexions biologiques des ondes du cerveau. Naissance de l'homme moderne, l'homme sans fil hyper connecté, peut-être une nouvelle étape de l'évolution. En position de monopole à l'échelle planétaire, la multinationale dirigée par LoveStar devient toute puissante et son fondateur une sorte de magnat-gourou. L'économie est bouleversée par l'omniprésence de la publicité ciblée directement déversée sur les consommateurs dans leur sphère privée. Etendant ses innovations au-delà des frontières de l'intime, la compagnie propose des services toujours plus poussés. L'amour se calcule via la filiale InLove, la mort se programme grâce à LoveMort. Peu à peu le libre arbitre est aboli. Indridi et Sigridur s'aiment mais le couple reçoit une missive de InLove les informant que d'après les calculs, l'âme sœur de cette dernière est un danois.  Alors qu'elle est promise par la science à un autre, ils décident de ne pas prendre en compte les résultats et de vivre leur amour en misant sur les sentiments spontanés. Véritables dissidents, la machine va tenter de les broyer pour les soumettre aux nouvelles normes, au nouveau modèle social. 

Fable dystopique audacieuse aux accents orwelliens, LoveStar oscille entre drame et farce et embrasse pleinement le registre de l'absurde. Cette satire politique épingle les travers de notre époque par le biais de la science-fiction. Roman noir d'anticipation, la projection imaginée par Andri Snær Magnason sonne l'heure du consommateur ultime renonçant à sa vie privée, à son individualité en échange toujours plus de connectivité. Mêlant le vrai et l'imaginaire le plus fantasque, faits scientifiques et descriptions baroques, l'auteur trace un portrait sombre de notre monde en devenir dans un pamphlet radical assez jubilatoire. Le roman interroge avec intelligence le pouvoir des multinationales, le rôle de la publicité, de la communication, le libre arbitre et la technologie envahissante. Au cœur de son propos, Andri Snær Magnason place les problèmes climatiques et environnementaux qui minent notre planète faisant de LoveStar un véritable plaidoyer écologique.

Extrapolation pour le pire, l'univers à la fois si lointain et si proche du roman mise à la fois sur la dérision et le sérieux. Hommes et femmes sont transformés, souvent malgré eux, en aboyeurs public dont la mission est de relayer des slogans dans une institutionnalisation du harcèlement publicitaire. Soulignant les dérives de l'hyper-connexion, l'auteur égratigne joyeusement la société marchande exacerbée dont nous ne sommes pas loin.

Cette nouvelle ère formate des consommateurs nés et les enfants sont rembobinés si leur caractère s'annonce difficile plutôt que malléable. Le service LoveMort propose de disposer des morts en les envoyant dans l'espace pour les transformer en étoiles filantes plutôt que de les enterrer, rite éminemment archaïque. Les personnages de contes de fée et de dessins animés sont récréés pour de vrai par des manipulations génétiques. Les jolis petits Mickey se révèlent cannibales et le grand méchant loup développe un instinct maternel exacerbé. Le résultat est déroutant, inquiétant bien que nappé d'une bonne dose de fantaisie.

Distance, humour, profondeur, subtilité, Andri Snær Magnason mène avec virtuosité une intrigue au final détonant. Un roman intelligent à dévorer d'urgence !

LoveStar - Andri Snær Magnason - Traduit de l'islandais par Eric Bouzy - Editions Zulma



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.