Paris : Cour de Rohan, voyage immobile à travers l'Histoire - VIème



La Cour de Rohan, voie semi-publique aux allures de village provençal, est une intrigante curiosité parisienne, un lieu où l'écho de l'histoire résonne encore à travers l'architecture. Vestiges médiévaux, construction Renaissance, bâtiment Louis XIII, cette succession de trois courettes pavées et arborées reliant la rue du Jardinet à la cour du Commerce Saint André depuis 1791, a souvent été menacée de destruction. Repère d'artistes dès 1930, elle est aujourd'hui un summum du luxe, celui sans pareil d'un confetti champêtre en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés.






A l'origine de la cour de Rohan se trouve un ensemble de bâtiments construit par Henri II (1510-1559) pour sa favorite Diane de Poitiers (1499-1566). La première des trois courettes formant la cour de Rohan s'ouvre sur la rue du Jardinet. A condition que les grilles ne soient pas fermées ce qui est assez rare depuis la décision de la copropriété en 2015 de restreindre l'accès au public. Cette première enclave dont les bâtiments de faible hauteur évoque les lignes pures de l'époque Directoire est dotée d'un puits à margelle orné d'une gargouille et surmonté d'une poulie datant du XVème siècle.

Dans un style Louis XIII prononcé, la deuxième cour est marquée par une architecture où brique, tuffeau, ardoise et bois s'imposent avec grâce. L'hôtel d'Aultry construit pour Jean d'Aultry, vicomte de Lévignan, est un édifice en briques rouges composé de deux ailes réalisé par le maçon Pierre Hureau vers 1636. Classé au titre des Monuments historiques, ce bâtiment a été à la fin du XIXème et au début du XXème siècle un pensionnat pour jeunes filles telles que les photographies d'époque en témoignent. C'est dans cette courette que se trouve le dernier pas-de-mule de Paris, une sorte de trépied qui servait à se hisser sur son cheval.


Première cour
Première cour
Première cour avec le puits dans le renfoncement
Première cour
Première cour - Passage au fond menant à la troisième cour


Grille fermée qui mène à la deuxième cour (frustration !)


La troisième cour est célèbre pour son fragment visible de l'enceinte de Philippe-Auguste, vestiges d'une tourelle datant de 1209 qui servent aujourd'hui de soutènement à un jardin terrasse attenant à l'ancien atelier de l'artiste français d'origine polonaise Balthus. Devenu loft luxueux pour milliardaire, cette maison a été vendu récemment pour la modique somme de 8 millions d'euros.

Depuis cette transaction, la cour de Rohan a été fermée au public, nous privant d'un morceau de patrimoine. Comme dirait l'autre, la propriété c'est le vol… D'autres reliquats de l'enceinte de Philippe-Auguste forme un appui sur lesquels sont adossés les maisons basses de la cour du Commerce Saint André


Puits de la cour de Rohan
Crédit CFPPHR
Pas-de-mule de la cour de Rohan
Crédit Creative Commons


Couloir aménagé entre les murs de fond et de flanc de deux anciens hôtels particuliers, celui des Archevêques de Rouen sur la rue Paon et celui de Navarre ou du séjour d'Orléans sur la rue Saint André, la cour de Rohan dont le nom résulte d'une altération de celui Rouen - lié à la proximité de l'hôtel des Archevêques susnommé - porta notamment le nom d'impasse de la cour de Rouen. Son existence est attestée dès le XIVème siècle. 

En 1714, la cour est désignée sous l'appellation de "cul-de-sac de Rohan". Elle bute alors sur les vestiges de l'enceinte Philippe-Auguste sur laquelle sont adossées les petites maisons basses formant le côté occidental du moderne passage du Commerce. En 1791, elle est ouverte sur la cour du Commerce Saint-André et les travaux exigent le percement des vestiges de l'enceinte de Philippe-Auguste. 

La rue du Jardinet qui prend fin à l'entrée de la cour de Rohan n'est pas en reste concernant l'histoire des métamorphoses urbanistiques. Elle doit son nom au jardin dépendant de l'hôtel des Archevêques de Reims qui la borde côté Sud. L'essentiel de la voie originelle datant du XIIIème siècle est détruit lors du percement du boulevard Saint-Germain.

En 1866, un décret impérial relatif au prolongement du boulevard Saint-Germain entre le boulevard Saint-Michel et le quai d'Orsay valide le projet de suppression des rues du Jardinet et Larrey ainsi que les impasses du Paon et de Rouen, impasse de Rouen cette portion congrue appelée rue du Jardinet de nos jours donnant sur la cour de Rouen. 

A partir de 1876, la cour de Rouen devient cour du Jardinet alors que disparaît l'ancienne rue du Jardinet dans les travaux du boulevard débutés en 1875. Le tracé du nouveau boulevard Saint-André qui doit relier la place Saint-Michel au boulevard Saint-Germain menace une nouvelle fois la cour de Rohan / du Jardinet de destruction.

Mais les opérations de voiries prévues initialement sont trop coûteuses et le projet est abandonné vers 1880 pour donner lieu à la création de la rue Danton. Au XXème siècle, la cour de Rohan a été menacée de disparition en 1930 et 1959 à chaque fois que des idées de modernisations prenaient les édiles.


Troisième courette de la cour de Rohan
Troisième courette de la cour de Rohan
Troisième courette de la cour de Rohan
Troisième courette de la cour de Rohan


Repaire d'artistes, la cour de Rohan a abrité l'atelier de Balthus mentionné plus haut dès 1936. Georges Bataille qui y a vécu pendant la guerre organisait dit-on des fêtes dantesques durant lesquelles se réunissaient Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Michel Leiris, Raymond Queneau… Dans les années 70, David Hockney a fait un séjour cour de Rohan avant de repartir pour la Californie. Au 3bis s'est installée la sculptrice américaine Sheila Hicks et le metteur en scène canadien Robert Carsen y a séjourné également. Prolongeant la tradition créatrice, la Fondation Alberto et Annette Giacometti a pris place dans l'hôtel particulier légué par Annette Giacometti veuve de l'artiste au n°3 de la cour.

Cour de Rohan
Accès restreint par la rue du Jardinet et la Cour du Commerce Saint-André - Paris 6



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Parigramme
Le guide du patrimoine Paris - Sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montlcos - hachette
Le guide du promeneur 6è arrondissement - Bernard Dreyfuss - Parigramme
Curiosités de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme

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