Paris : Rue Dieulafoy, expérimentation architecturale et couleurs pastel - XIIIème



La rue Dieulafoy déploie toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Cette fantaisie heureuse donne aux pavillons, conçus sur un même modèle, des allures de maison de poupée. Dans le XIIIème arrondissement, le quartier Maison-Blanche / Abbé Hénocque préservé des grands travaux d'urbanisme inspirés du modernisme des années 60 a conservé un charme singulier de jolie province. Édifiés sur les anciennes carrières, petits lotissements et cités ouvrières réinventées ont gardé les particularités liées à la fragilité des terrains aux sous-sols instables. Percée en 1912, la rue Dieulafoy est un passage remarquable typique du vieux XIIIème. Les enduits colorés récents évoquent les micro-quartiers anglais ou hollandais. Jaune poussin, bleu ciel, rose layette, céladon, c'est une explosion de teintes pastel. Promenons-nous le long de cette coquette rue pavée au destin singulier, oasis heureuse au cœur de la ville.









Dans le sud de Paris, industriel et populaire, la Bièvre depuis le XIVème siècle puis la voie ferrée d'Orléans dès le milieu du XIXème président au destin de ce qui deviendra en 1860, lors de l'annexion des communes, le XIIIème arrondissement. A cette époque, le Val de Bièvre est formé de deux coteaux, dont la Butte aux Cailles, séparés par un étroit vallon au milieu duquel coule la rivière, affluent de la Seine creusant un S inversé dans le paysage. Si les saules et les peupliers plantés le long des bords de la vallée ont disparu, leur souvenir vivaces se perpétuent dans le nom de nos rues actuelles. 

Territoire des chiffonniers, blanchisseurs, teinturiers, glaciers, meuniers, tanneurs ou encore gens du voyage et ouvriers, la population y est modeste quand elle n'est pas tout à fait indigente. Au début du XXème siècle, la Bièvre devenue un véritable égout à ciel ouvert est condamnée à disparaître avec le comblement de la vallée, travaux pharaoniques visant à niveler un profond sillon mesurant de 12 à 30 mètres de profondeur. La métamorphose du relief des lieux transforme le val encaissé en plaine aux pentes faibles.








Entre 1900 et la Première Guerre Mondiale, sur le remblai de la vallée sont construits des ensembles de petites maisons souvent en brique, villas et cités ouvrières. La loi Siegfried assurant le soutien de l'Etat aux sociétés des HBM, habitations bon marché ancêtres de nos HLM, accélèrent les constructions sur l'emplacement des fossés des enceintes de Thiers. L'action commune Les associations philanthropiques ou patronales mènent une action commune pour éradiquer les ilots insalubres. Le quartier Maison-Blanche / Abbé Hénocque est l'objet d'expérimentations architecturales et sociales. De nombreux terrains sont cédés à faible prix par la Ville à la Fraternelle des employés des Chemins de fer. Des lotissements ouvriers voient le jour entre 1908.

Parallèlement, des opérations plus spéculatives de petits investisseurs privés donnent naissance à des projets comme celui de la rue Dieulafoy, cas rare, à l'époque, de construction de pavillons individuels à destination d'une classe moyenne dans un arrondissement plutôt populaire et ouvrier. Au voisinage de l'hôpital de la Croix-Rouge devenu l'hôpital privé des Peupliers, l'opération immobilière menée par des investisseurs privés visent alors le personnel de la clinique. Le projet clef en main est conçu pour séduire une clientèle un peu plus aisée que la population des deux lotissements voisins, groupe Peuplier et ilot Roussel, sans pour autant être en mesure d'acquérir un terrain et d'y bâtir une résidence en faisant appel à un architecte.








La construction des quarante-quatre maisons élevées sur le même modèle date de 1921. Un modèle reproduit dans d'autres petits lotissements jusqu'à la porte de Gentilly ainsi que rue Santos-Dumont dans le XVème et rue Ernest-Lacoste dans le XIIème. L'architecte Henry Trésal, créateur en 1929 en collaboration avec Adolphe Thiers de la cité Montmartre aux artistes, a imaginé un compromis entre la maison bourgeoise et le petit pavillon de banlieue caractérisé par un becquet érigé sur un toit en ardoise et la présence moderne d'une salle de bain. L'obligation de préserver une bordure de 2,50 mètres a permis aujourd'hui la végétalisation de jardinets de ville.

Les différents travaux effectués par les propriétaires successifs ont singularisé les constructions. Elles ont subi de multiples transformations tout en conservant l'impression de grande unité architecturale de la rue. Les remises à automobiles sont devenues pièces à vivre, des sanitaires ont été ajoutés dans les retraits de façade qui scandaient le rythme des mitoyens. Les ravalements modifiant la modénature ont altéré les proportions et dispositions des façades et de l'ensemble des éléments d’ornement tels que moulures de corniche.








Dans les années 60, les édiles et les architectes veulent faire table rase du passé faubourien de Paris, remodeler la trame de la ville en s'affranchissant de l'histoire. Alors que le vaste projet d'urbanisme Italie 13 engagé à cette époque et arrêté au milieu des années 70 a radicalement requalifié l'espace urbain du XIIIème arrondissement, le quartier Maison Blanche / Abbé Hénocque n'a pas atteint par cette vague moderniste. Tours sur dalles, architecture monumentale lui ont été épargnées. Aujourd'hui la Ville cherche plutôt à préserver le tissu urbain pré-existant. Territoire parisien en perpétuelle mutation, cosmopolite, animé, le XIIIème arrondissement se transforme toujours mais en mettant l'accent sur la dimension humaine. Pour preuve la création de nombreux jardins publics, squares et autres espaces verts sous la houlette de paysagistes. Les nouveaux quartiers verts éco-responsables, la vie culturelle et universitaire intense, l'omniprésence de l'art contemporain en font l'un des arrondissements les dynamiques et les plus jeunes de Paris.

Rue Dieulafoy - Paris 13
Débute 4 rue du Docteur-Leray et se termine 17 rue Henri-Pape



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 13è arrondissement - Gilles-Antoines Langlois - Parigramme
Evocation du vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit

Sites référents