Paris : Impasse des Deux-Néthes, venelle villageoise au passé sulfureux - XVIIIème



Au sud du quartier des Grandes Carrières, à l'aplomb des anciennes excavations d'où étaient extraites le gypse, le square des Deux-Néthes est un espace vert reconquis sur le bâti, ouvert au public 2003. Jardin partagé, aire de jeu et oeuvre hommage à l'Abbé Pierre signée JonOne dont je vous parlais ici. Issu de la réhabilitation d'un ilot vétuste, le square est longé par deux petites impasses singulières l'impasse de la Défense entièrement rénovée dans un style très Bauhaus et l'impasse des Deux-Néthes qui lui a donné son nom, ruelle rustique laissée dans son jus, pittoresque et improbable aux charmes légèrement décatis.










Impasse Antin puis passage Béranger et enfin impasse des Deux-Néthes par arrêté du 1er février 1877, son nom évoque le souvenir du département français des Deux-Néthes, créé lors de l'annexion des Pays-bas autrichiens en 1795 puis rendu et partagé entre la Belgique et les Pays-Bas lors du Traité de Paris en 1814. Si le nom Nèthe fait référence à la rivière belge ayant deux affluents la Petite Nèthe et la Grande Nèthe, la Nomenclature des voies publiques et privées de Paris l'orthographie curieusement avec un accent aigu donc Néthes.

Maisons villageoises et petits immeubles d'un côté et square des Deux-Néthes de l'autre, l'impasse particulièrement étroite évoque le parcellaire historique des lieux. La modestie des travaux engagés pour restaurer les habitations laisse présager d'une volonté de conservation de l'ensemble. A proximité immédiate de la barrière de Clichy longée à l'ouest par la route royale Paris-Rouen, limitée à l'est par les vastes carrières de gypse, le quartier est rapidement loti dès la fin du XVIIIème siècle. 

En 1812, dans le hameau originel, le bâti s'organise le long des axes de circulation dont la Grande rue des Batignolles actuelle avenue de Clichy. Le lacis des venelles étroites n'a pas encore connu les grands travaux d'Haussmann. Le parcellaire se développe en lanières étroites dont les trois impasses Deux-Néthes, de la Défense et Lathuille sont un souvenir du mitage de l'ilot. Le quartier ne connaît un véritable développement urbain qu'à partir des années 1840 avec notamment l'aménagement du cimetière de Montmartre puis l'annexion des communes suburbaines à Paris en 1860.









En 1872, située à l'extrémité des Batignolles, le passage Béranger, future impasse des Deux-Néthes part des rues Capron et Forest pour aboutir à la rue des Carrières. Il donne sur une sorte de terrain vague où se sont accumulées des constructions de bois rappelant les chalets du maquis de Montmartre tout proche. Les habitations sont reliées entre elles par des escaliers extérieurs. Ici et là de pauvres jardinets dépérissent tandis que la vue donne sur les chantiers d'extraction de gypse et de pierre. A la fois pittoresque et fort misérable, la ruelle est le lieu de trafics divers d'un Paris interlope, repaire de truands corses et marseillais. 

Au numéro 5 de l'impasse Béranger, une sorte de cité ouvrière s'ouvre sur des habitations en planche couvertes de carton bitumé formant un carré longé d'une galerie extérieure. L'accès se fait par un escalier à quelques pas de la loge du concierge, un poste fort incongru dans ce quartier. Dissimulé au regard, un tripot clandestin, chambre secrète suspendue comme un décor d'opéra, y remporte un franc succès. Le concierge est chargé d'en surveiller l'entrée en manœuvrant des ponts de bois tournant sur eux-mêmes qui protège la salle de jeu des interruptions policières.








Plus tard, au XXème siècle la tradition de ce lieu se perpétue sous une forme légèrement différente. Entre-deux-guerres, à l’emplacement du square des Deux-Nèthes se trouve le bal du Petit Jardin, un musette mal famé, où se produisent en 1935, alors inconnus la Môme, Édith Piaf et le débutant Django Reinhardt. Tandis que l'orchestre joue sur une galerie au dessus de la piste de danse, Robert Glanzer, chef d'orchestre allemand qui a bien connu l'endroit témoigne d'une faune bigarrée composée de proxénètes, prostituées, casseurs, gens du milieu, dealers. C'est ici qu'Henri Carrière (1906-1973) dit Papillon fait ses débuts aux côtés des malfrats en 1927. Après le bagne, l'exil, la guerre, en 1968, s'inspirant de L'Astragale, ouvrage d'Albertine Sarrazin, il écrit un récit autobiographie romancé publié aux éditions Robert Laffont relatant sa jeunesse et ses années de petite délinquances.

Impasse des Deux-Néthes
Accès 30-32 avenue de Clichy - Paris 18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Dictionnaire historique des rues de Paris Jacques Hillairet - Editions de Minuit
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych, Dominique Leborgne - Parigramme
Piaf, la vérité - Emmanuel Bonini - Editions Pygmalion
Portraits pittoresques de Paris 1867-1893 - Charles Vimaître - Editions Omnibus

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