Paris : Passage Charles Albert, souvenirs villageois du quartier de la Moskova - XVIIIème



Le quartier de la Moskova, du nom d'une bataille, également appelée bataille de Borodino, remportée par les troupes de Napoléon le 7 septembre 1812 en Russie sous le commandement des maréchaux d'Empire, Davout et Ney, a fait l'objet de profondes transformations depuis les années 70. Enserrée entre le tracé des anciennes fortifications de Thiers et le talus du chemin de fer de la Petite Ceinture, il offre aujourd'hui un paysage urbain contrasté entre ruelles étroites bordées de jolis pavillons et grands ensembles contemporains. Le passage Charles-Albert, petit coin de campagne à Paris illustre cette mutation du bâti tout en ressuscitant pour les flâneurs le souvenir d'une autre époque.










Lieu coquet aux allures de village, il a été ouvert en 1857 entre la rue Leibniz et la rue Jules-Cloquet. Cette voie privée ouverte à la circulation publique par arrêté du 23 juin 1959 porte le prénom du propriétaire des terrains sur lesquels elle a été tracée, Charles-Albert Frossard (1840-1901) inspecteur général des Ponts et Chaussées, directeur des travaux hydrauliques et bâtiments civils du port militaire de Cherbourg, officier de la Légion d'honneur. 

La plupart des maisons datent de la seconde moitié du XIXème siècle, charme préservé d'un Paris disparu. Le parcellaire très étroit accote de charmants pavillons aux façades de meulières et de briques dotés de jardins lilliputiens. La fantaisie des riverains et leur amour du jardinage donnent à ce passage une atmosphère bucolique où les couleurs des fleurs répondent aux pastels des enduits, aux volets et portes peints gaiement.










Le nord du quartier des Grandes-Carrières marqué par l'exploitation des carrières à ciel ouvert, est longtemps restée une zone rurale comme l'évoque le nom de ses lieux-dits Malassis, qui faisait référence à l'instabilité du terrain ou encore Champs à lou, Chante Aloue en hommage aux alouettes dans les vignes. Situé sur le versant nord de la commune de Montmartre, le territoire de la Moskova est morcelé vers 1850 en petites parcelles très vite exploitées par de modestes maraîchers et vignerons, les sols étant peu productifs. Dans les années 1920, les marchands des quatre saisons s'y fournissent en fleurs coupées, spécialité du quartier.

L'urbanisation spontanée de ce quartier populaire lui donne alors une géographie singulière. Rues étroites et pittoresques bordées de maisonnettes, petits immeubles, ateliers, si le charme villageois est indéniable, les conditions d'hygiène y demeurent sommaires. Exiguïté des logements, confort très limité, l'habitat se révèle rapidement délabré à tel point que la Moskova est déclarée insalubre en 1938. Les premiers projets de réhabilitation ne voient le jour qu'en 1974 avant d'être repris en 1988 par la SEMAVIP.

Dans les années 70, la Moskova surnommée le Talus, populaire et cosmopolite abrite un célèbre gangster, Jacques Mesrine qui trouve refuge passage Charles-Albert en 1978 quelques jours après son évasion de la Santé. Sylvia Jeanjacquenot, dernière compagne de Mesrine décrit dans son livre L'instinct de vie, un quartier peu fréquenté où voies étroites, passages et impasses favorisent toute sorte de trafic. Immigrés en situation irrégulière, petits truands s'y font discrets. La planque de Jacques Mesrine est une sorte de local, plus proche du box de voiture que d'une réelle habitation : ciment brut, table de camping, matelas pneumatique, la cavale est loin d'être flamboyante.









Les grands travaux lancés en 1988, se poursuivent avec en décembre 1991, l'approbation par le Conseil de Paris de la construction de 41 000 m2 de logements, d'une école, d'un jardin public, d'un mail planté entre les rues Belliard et Leibniz. Les amoureux du vieux Paris inquiets de voir tout à fait disparaître la singularité de la Moscava interviennent et le 12 avril 1996, le plan d'aménagement est révisé afin de conserver à la rue Bonnet, l'ancien passage des Vignes, son caractère particulier. Le passage Charles-Albert échappe également aux transformations drastiques nous donnant de nos jours à rêver sur ce que fut ce quartier, il n'y a pas si longtemps.

Passage Charles-Albert - Paris 18
Accès 70 rue Leibniz et 2 rue Jules-Cloquet



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych, Domonique Leborgne - Parigramme
L'instinct de vie - Sylvia Jeanjacquot - Presse de la Cité

Sites référents