Lundi Librairie : Dans la peau de Coventry - Sue Townsend



Dans la peau de Coventry - Sue Townsend : Coventry Dakin, une très belle femme au foyer des Midlands britanniques, mène une existence sans reliefs aux côtés de Derek, son terne mari plus âgé, obnubilé par les tortues et ses deux enfants adolescents trop gâtés, John et Mary. Cette vie sans aspérités de ménagère modèle est rythmée par un train-train quotidien d'une rare platitude. Cadenassée dans son rôle de mère et d'épouse idéale mais introvertie au point d'en devenir transparente, Coventry en a oublié qui elle est. Son voisin Gérald Fox, un ivrogne bas de plafond, fait courir le bruit infondé qu'ils entretiennent une liaison. Lorsqu'elle le surprend en train de tenter d'étrangler sa femme, elle court au secours de l'épouse molestée et frappe le soûlard avec une figurine Action Man. Celui-ci s'écroule, raide mort. Prise de panique, sans un sou en poche, Coventry fuit la scène du crime et se réfugie à Londres où elle ne connaît personne. Errant dans les rues de la métropole, devenue sans-abris du jour au lendemain mais libérée de son carcan et des conventions, elle fait la connaissance de personnages hauts en couleurs, de la demeure d'aristocrates excentriques au bas-fonds de Cartonville où survivent les mendiants de la ville jusqu'à une soirée mondaine de la haute société. Pendant ce temps, l'inspecteur Sly part à sa recherche bien décidé à la débusquer.

Maniant un humour à froid très vachard, Sue Townsend signe une farce brillante flirtant allègrement avec l'absurde. Commentaire acide sur l'Angleterre de Margaret Thatcher ponctué de références so british, l'auteur n'épargne personne. Méchant, abrasif, spirituel, Dans la peau de Coventry brille par la finesse de l'analyse, l'acuité des observations sociales sous des abords faussement naïfs. Hypocrisie et mesquinerie des classes moyennes, veulerie des élites corrompues, tout le monde en prend pour son grade dans une société qui manque cruellement de sens.

Histoire d'indépendance, d'émancipation, ce roman drôle et pertinent interroge sur le statut de la femme dans l'Angleterre de la fin des années 80. Confrontée pour la première fois aux réalités de la vie, Coventry, la desperate housewife avant l'heure, sorte de Brie Van de Kamp sans flamboyance, va parvenir, dans son rôle de fugitive fauchée, à émerger de sa léthargie pour se forger une nouvelle identité et se retrouver soi-même. Guerre des sexes et rébellion, rejet de la prédestination, l'héroïne reprend sa destinée en main.

Les chapitres courts, rythmés à un train d'enfer, composent un récit fragmenté en une suite de situations comiques, vignettes pleines d'esprit faisant fi de la crédibilité au profit d'un rire burlesque non dénué d'esprit et de second degré. Changeant volontiers de point de vue, de la première personne à la troisième, la prose habile de Sue Townsend révèle, l'air de ne pas y toucher, les abjections de ses personnages, tous affreux, sales et méchants, qu'ils vivent dans la soie ou dans la rue. Le cheminement de Coventry est l'occasion pour l'auteur de croquer avec malice une série de portraits loufoques. Le Professeur Willoughby d'Eresby et son épouse, une psy naturiste Letita, Dodo, héritière d'une grande famille en lien avec le Parlement, dégringolée dans la rue parmi les visages anonymes des sans-abris de Londres, Sidney, le frère désinvolte que rien ne touche ni ne choque, petit-bourgeois obnubilé par l'argent et son nombril…

A travers le récit de cette évasion rocambolesque, Sue Townsend se révèle une féministe engagée qui remet en cause le moule social dans lequel les hommes, ici représentés comme tous machistes et violents, voudraient maintenir les femmes. Intelligent, impertinent, légèrement foutraque mais tout à fait délicieux.

Dans la peau de Coventry - Sue Townsend - Traduit de l'anglais par Fabienne Duvigneau - Editions Charleston



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.