Paris : Villa Léandre, le charme anglais de Notting Hill à Montmartre - XVIIIème



La Villa Léandre, au 23 ter avenue Junot dans le quartier des Grandes Carrières, est un petit paradis fleuri à la quiétude heureuse. Impasse bordée de maisons au style anglo-normand, cette venelle pavée dont le calme est à peine troublé par l'animation du récent bar-restaurant so trendy Marcel, est un lieu privilégié qui ravit les amoureux du Paris insolite. Si les riverains installés depuis des générations, mi-figue mi-raisin devant ce regain de popularité, ne se plaignent pas trop, c'est que la douceur de vivre y est incomparable. Le cadre singulier de la ruelle attire de nombreux tournage cinéma et télévision. Côté numéros pairs, pavillons de briques aux toits d'ardoise, maisonnettes blanches aux volets colorés, bows-windows très britanniques, façades abondamment fleuries rappellent le style architectural londonien. Les minuscules jardinets entretenus avec amour rivalisent d'exubérance verdoyante tout à fait champêtre. Du côté des numéros impairs de petits immeubles plus récents ont été édifiés sur une partie de parcelle appartenant au site du Vieux Montmartre. Si à l'origine, celle-ci n'était pas censée être constructible, il semblerait que quelques magouilles aient permis l'édification de ces bâtiments.











L'histoire du terrain sur lequel a été percé la villa Léandre est intimement liée à celle de Montmartre. Dès le XIIème siècle, sous la tutelle les Bénédictines, les cultures maraîchères et celle de la vigne se développent sur la Butte. Dans le même temps, les premiers moulins apparaissent. Si l'Abbaye des Dames de Montmartre est démantelée à la Révolution, l'activité perdure.

En 1725, sur l'emplacement des actuels 15 et 17 villa Léandre, Nicolas Menessier fait construire le onzième moulin de Montmartre, le Moulin des Prés ou de la Béquille.  Il le loue à Jean-Jacques Devaux alors qu'il n'est pas encore achevé et que la construction de la maison du meunier n'a pas encore débuté. En 1741, confortablement enrichi, le sieur Devaux rachète le Vieux Moulin tout proche et fait construite sur la parcelle attenante le Moulin Neuf qui se trouvait sur l'actuel passage de la sorcière entre le 65 rue Lepic et le 23 avenue Junot dont je vous parlais ici. Le Moulin des Prés est exploité jusqu'en 1793 puis peu à peu laissé à l'abandon avant d'être rasé.

Au cours du XIXème siècle, se développe une singulière agglomération, le Maquis de Montmartre débute au XIXème siècle. Une population de parisiens démunis, miséreux ne trouvant pas à se loger s'installent sur les terres inexploitables de la Butte. A l'emplacement d'un triangle formé par nos actuelles rue Lepic, Girardon et Caulaincourt, grandit un bidonville qui prenant peu à peu forme devient un véritable petit village fait de bric et de broc mais soudé par un véritable esprit communautaire. Le long des ruelles labyrinthiques, s'élèvent de petits chalets sur pilotis, des cahutes branlantes habitées par des chiffonniers et les gens de la bohème.











En 1890, cet îlot préservé de l'urbanisation commence à ressentir les pressions des avancées haussmanniennes. A partir de 1902, les promoteurs toujours à l'affût de nouveaux terrains constructibles font édifier des villas de luxe art déco et chassent le petit peuple de la Butte parfois même avec des méthodes peu humaines tel ce grand incendie qui mit définitivement un terme au Maquis. Entre 1910 et 1912, l'avenue Junot est percée révélant au passage d'anciennes ruines romaines dont on peut aujourd'hui observer un vestige, le mur de soutènement au début de la rue.

En 1926, la villa Junot est ouverte puis rebaptisée villa Léandre en 1936, en hommage à Charles Léandre (1865-1934) humoriste, peintre-caricaturiste affichiste montmartrois dont l'atelier était situé rue Caulaincourt. A l'origine, la villa Léandre accueille les artistes, les gens de théâtre et des cabarets de la Butte. Mais l'évolution des prix du marché immobilier a profondément changé la démographie du quartier. Aujourd'hui, les maisonnettes de la villa Léandre sont un luxe qui se transmet jalousement de génération en génération.










Au 8 bis, demeure de la famille Blavette, beaux-parents de Roger Vailland (1907-1965), écrivain essayiste grand reporter, pendant la Second Guerre Mondiale, se cache Roman Czerniawski alias Armand Borni chef du réseau Interallié de la Résistance. Il y est arrêté par la Gestapo le 16 novembre 1941 en compagnie de deux opérateurs radio et de Mathilde Carré dite La Chatte qui est alors retournée par les nazis. Au début des années 1970, Michel Piccoli achète le numéro 10 pour son épouse Juliette Gréco qui n'y habitera jamais. J'ai trouvé un texte qui affirme que le numéro 16, Les acacias, a accueilli un temps Joséphine Baker lorsqu'elle se produisait dans les cabarets de la Butte. Plus récemment, Jacques Jouanneau, Olivier Sitruk, Richard Berry ont habité la villa Léandre prolongeant la légende du Montmartre des artistes.

Impossible de résister au charme pimpant de cette petite impasse aux faux airs de Notting Hill. En plein été, les flâneurs sont happés depuis l'avenue Junot par les vives couleurs de la végétation qui souligne le pastel des façades. Un cheesecake de chez Marcel et une villa champêtre, le bonheur en somme !
 
Villa Léandre
Accès par le 23 ter avenue Junot - Paris 18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit
Guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych, Dominique Leborgne -Parigramme

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