Paris : Vigne de Montmartre, la tradition réinventée - XVIIIème



Dans les vignes de Montmartre, célébrant le riche passé vinicole de la Butte dans un grand hommage à Bacchus et à l'art de vivre à la française, la Fête des vendanges, se déroule le deuxième week-end d'octobre depuis près de quatre-vingt ans. En 1980, la Mairie du XVIIIème prend en charge l'organisation de cet événement pour lui donner un nouvel élan touristique mêlant folklore de proximité et fête populaire. Propriété de la Ville de Paris, entretenue par une brigade spéciale des agents des Parcs et Espaces verts, la vigne située à l'angle des rues Saint-Vincent et des Saules, s'étage sur cinq paliers distribués le long d'une parcelle en pente de 1536m2. Ce vignoble de poche curieusement orienté plein nord, s'il relève d'une ancienne tradition ne produit qu'un petit vin aigrelet, cru pittoresque du Clos Montmartre. Les bénéfices de la vente des bouteilles sont reversés aux œuvres sociales du Comité des Fêtes et d'Action Sociale de Montmartre et du XVIIIème. La vigne de Montmartre est une curiosité dont l'histoire ne manque pas de piquant.







Les premiers vignobles de Montmartre remontent à l'époque gallo-romaine. L'église Saint-Pierre, rue du Mont-Cenis, a été construite sur les traces d'un temple dédié à Bacchus mais il faut attendre le Moyen-âge pour que l'activité viticole trouve son essor. Au XIIème siècle, les Dames de l'Abbaye de Montmartre développent la production de vin de la Butte afin d'améliorer les revenus de la communauté sous l'impulsion d'Adélaïde de Savoie (1092-1154) première abbesse de Montmartre. Les religieuses possèdent leur propre vignoble et l'unique pressoir du village. Au cours des siècles suivant, l'Abbaye connaissant des revers de fortune vend peu à peu ses terrains et dès la fin du XVème siècle les vignerons-laboureurs cultivent leurs propres vignes et bricolent une piquette bon marché.

Au XVIIème siècle, la colline est au 3/4 couverte de vignes. Les Parisiens s'échappant de la Capitale frappée par l'octroi montent jusqu'au petit village pour faire la fête hors-taxe. Profitant de l'aubaine, guinguettes, tavernes et bals se multiplient. Au milieu du XIXème siècle, alors que se développe l'exploitation des carrières et que l'urbanisation liée aux fluctuations démographiques galope, les vignobles reculent. Frappés par la concurrence des vins de régions plus ensoleillées et par le phylloxera insecte ravageur qui prospère sur la Butte, les crus de Montmartre peu à peu s'étiolent. En 1860, l'annexion de la commune à Paris marque le déclin définitif de la production.








Durant l'entre-deux-guerres, Pierre Labrie, Maire de la Commune libre de Montmartre, Victor Perrot président de la Société d'histoire et d'archéologie du vieux Montmartre et le dessinateur Francisque Poulbot (1879-1946), l'un des fondateurs en 1929 de la République de Montmartre cherche à protéger de la spéculation immobilière un terrain vague situé à l'angle des rues Saint-Vincent et des Saules. Pour le préserver de la convoitise des promoteurs, ils décident en 1930 de le transformer en jardin public sous le nom de Square de la Liberté. Mais la Ville rechigne à protéger l'endroit.  Alors que les derniers pieds de vigne de Montmartre ont totalement disparu depuis 1928, la fine équipe prend l'initiative, en 1933, de planter un minuscule vignoble avec l'accord de la mairie d'arrondissement. 

Trois mille pieds en provenance du domaine de Thomery près de Fontainebleau et trois ceps de Morgon prennent place sur le versant nord du jardin du 12 rue Cortot. En 1934, lors de la première fête des vendanges en présence du président de la République Albert Lebrun et sous le parrainage de Fernandel et de Mistinguett, la vigne n'ayant pas encore donné de raisin - il lui faut trois ans pour être productive - des vignerons du Beaujolais offrent les grappes qui serviront à la cuvée.

Dans les années 70, cherchant à améliorer la qualité du Clos Montmartre, les vignes sont plantées en Gamay et Pinot noir. Aujourd'hui, parmi les deux mille pieds qui croissent dans un sol de sables de Fontainebleau typique de la région, on compte pas moins de vingt-sept cépages différents, majoritairement Gamay et Pinot noir mais également Sauvignon blanc ou encore Riesling. Du fait de l'exposition plein nord, les vendanges se déroulent tardivement. Agents de la ville et bénévoles se retrouvent chaque année, sécateurs à la main, pour récolter 1000kg de raisin en un peu plus de deux heures.







Depuis 2012, Sylviane Leplâtre, la nouvelle œnologue en charge de la vinification, a choisi d'orienter la production vers le rosé plutôt que rouge qui décidément n'arrivait pas à atteindre ses objectifs de qualité.  La vigne de Montmartre est bio, c'est à dire traitée sans pesticide, ce qui lui vaut d'être inscrite parmi les sites Oasis Nature, un label délivré par l'association d'Hubert Reeves pour la préservation de la biodiversité. Le Clos Montmartre est vinifié dans les caves de la mairie selon des méthodes traditionnelles. Les grappes recueillies sont moulinées dans un fouloir égrappoir. La presse en bois fait bon usage. Le vin est élevé en foudres, de vastes cuves de bois puis mis en bouteille vers mars-avril. Les 1800 bouteilles annuelles de Clos Montmartre vendues, dont une partie aux enchères, au profit des œuvres sociales de la mairie, sont réparties entre le Syndicat d'Initiative, le Musée de Montmartre et le Kiosque du Sacré Coeur. La Commanderie du Clos Montmartre, confrérie vineuse de Paris fondée le 23 mai 1983 par le président de la République de Montmartre, Maurice His, veille à la représentation officielle des vignes de la Butte.

Vigne de Montmartre
Angle des rues Saint-Vincent et des Saules - Paris 18

Bibliographie
Paris secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Edition de 1996 - Parigramme
Traversées de Paris - Alain Rustenholz - Parigramme

Sites référents