Lundi Librairie : D'après une histoire vraie - Delphine de Vigan



D'après une histoire vraie - Delphine de Vigan : Ecrivain en proie au doute après un grand succès de librairie, Delphine vit mal les prix et les hommages de la critique. Lettres anonymes menaçantes, exigences de son nouveau statut, son désarroi s'accroît de jour en jour. Alors qu’elle plonge peu à peu dans une dépression qui l’empêche d’écrire, elle fait la rencontre lors d’une soirée de la séduisante L, nègre littéraire qui rédige dans l’ombre des autobiographies de célébrités. Coup de foudre amical. Très vite cette femme mystérieuse, s’immisce dans sa vie puis dans sa manière de travailler. Omniprésente, envahissante, elle se rend indispensable à Delphine. Se met en place un dangereux jeu de séduction et de manipulation mené par une L oppressante, un piège qui isole tout à fait l’écrivain dans une relation fusionnelle malsaine. Une emprise psychologique que rien ne semble contrebalancer. Les enfants de Delphine sont grands et partent faire leurs études au loin. Son compagnon, très pris par ses émissions littéraires, est peu présent. Les amis éparpillés. Vulnérable, la romancière se retrouve seule face à L qui a une idée très précise de ce que devrait être son prochain ouvrage. Mais qui est-elle vraiment ? Fan dérangée, double obscur ?

Entre apparences et faux-semblants, Delphine de Vigan place ce récit intime sous l’égide du trouble, mêlant fiction et réel, vérité et mensonge. Insidieusement, elle tisse une toile qui prend le lecteur au piège de ce thriller psychologique, distillant avec intelligence un poison lent, un doute qui se répand insensiblement et donne toute sa saveur à ce roman fascinant et angoissant. Les éléments biographiques mis en scène participent à la manipulation, étrange équilibre où se révèle le talent de l’auteur, plume fluide, construction maîtrisée, évidence prenante du page turner. Parmi ces éléments, on songe notamment à ce premier roman, Un jour sans faim, publié en 2001 sous le pseudonyme de Lou Delvig. Lou qui revient par la suite dans No et moi. Serait-ce le retour de L, le double fantôme ?

A l’impuissance de l’écrivain, son désarroi face au manque d’inspiration, sa solitude aussi, autant de détails authentiques sur le fil, bribes de réalité, Delphine de Vigan oppose une réalité revisitée, décalage progressif, léger, presque imperceptible qui tend vers un basculement à la frontière du fantastique. Hommage à Stephen King, Misery, La part des ténèbres, cette histoire d’emprise et de dépossession de soi, de prise de pouvoir d’un individu sur l’autre, recèle une puissance émotionnelle rare qui procède de l’intrusion de l’univers intime servant la fiction pour mieux dérouter le lecteur. Alors que la relation exclusive de cette amitié féminine singulière vire à la cannibalisation, la menace trouble se précisant de façon terrifiante, ce récit habile est servi par un suspense diablement efficace.

Dans une époque fascinée par par le vrai, une obsession latente pour le fait divers, aux frontières du voyeurisme, qui se retrouve aussi bien en littérature qu’au cinéma, dans le succès de la presse à scandale, Delphine de Vigan s’interroge sur la place de l’écriture dans la vie, du réel dans la fiction. D’après une histoire vraie, sorte d’autobiographie fictive, donne formes aux angoisses de l’écrivain à travers un cauchemar éveillé jouant avec les fragilités humaines, les peurs intimes. Si les derniers chapitres à la campagne m’ont paru un peu moins efficaces, j’ai trouvé la fin particulièrement savoureuse. A lire, d’une traite, sans retenue !

D’après une histoire vraie – Delphine de Vigan – Editions JC Lattès - Edition de poche Le Livre de Poche