Paris : Passage des Soupirs, exquise venelle bucolique - XXème



A quelques encablures de la place Gambetta, quartier populaire très animé, existe l’un de ces nombreux secrets préservés si typiques du XXème, un charmant passage champêtre, insolite ilot de quiétude où les oiseaux et les chats sont rois. Venelle pavée bordée d’habitations, le passage des Soupirs porte un nom énigmatique des plus évocateurs, entre extase et désolation qui laisse planer le mystère. Et si le Pont des Soupirs renvoie à ceux des amants, le romantisme de cette allée verdoyante indiquée à l’état de sentier sur le plan cadastral de la commune de Belleville dressé en 1812, bien avant le rattachement haussmannien de 1860, pourrait bien prêter à quelques émotions tendres.
















Derniers jours d'été avant le début de l’automne, la vigne vierge flamboie, les pommes d’amour rougissent. Au printemps le lilas et la glycine fleurissent joyeusement. Jardinières entretenues avec tendresse, jardinets dissimulés derrière des claies dont s’échappent ici un saule, là un cerisier ou encore de vigoureux bambous, les riverains ont la main verte.

Au n°18, se trouve un jardin communautaire devant lequel un féroce cerbère en mosaïque monte la garde, est pris en charge par l’association le Jardin des Soupirs, jardin partagé où les enfants du quartier viennent découvrir les joies de la botanique. Un peu plus loin entraperçu derrière de hautes canisses, un palmier de taille respectable, arbre tout à fait exotique pour le climat, joue les  premiers rôles chez un particulier.

Pavillons ouvriers datant du XIXème en pierre de meulière, maisons de ville en briques, petits immeubles années 60 et bâtisses modernes éco-conçues cohabitent avec harmonie. Les variations architecturales disparates trouvent dans l'ensemble un équilibre intéressant entre l’ancien et le récent dans une atmosphère  paisible.













Le souvenir d'un riche passé ouvrier et festif perdure grâce à la préservation de ce tissu urbain radicalement différent de celui engendré par les transformations des années 1970, véritables campagnes de destruction. Sous les coups de boutoir des bulldozers, les vestiges des anciens bourgs annexés à Paris en 1860 ont quasiment disparu pour laisser place à des tours sur dalle sans âme.

Passage des Soupirs, le promeneur nez au vent se croirait presque dans un petit village au charme hors du temps. Il est aisé dans cette atmosphère de songer aux villages de vignerons et de maraîchers devenus faubourgs ouvriers, aux anciennes guinguettes, aux promenades en famille le dimanche au-delà des fortifs, aux bals populaires, aux bandes d'Apaches qui faisaient régner leur loi à Belleville et Ménilmontant. Des indices au parfum d'antan rappellent l'activité industrieuse du quartier ponctué d'anciennes enseignes d'échoppes artisanales réhabilitées et de frontons de manufactures réaffectées.






 







Une ancienne fabrique réaménagée conserve son fronton et proclame au n°15 "Manufacture Parisienne de Perles". De quoi se poser de nouvelles questions. A l’autre bout de la venelle dont une volée d’escalier en descente préserve le calme, se trouve la trépidante rue des Pyrénées.

Le temps de se retourner, le passage s'est déjà dissimulé au regard comme un rêve enchanté, Avalon dans les brumes. Mais dans le genre très parisien. De nombreuses interventions de street art ont disparu récemment dont des zèbres malicieux signés Mosko et Associés, cependant il reste une belle mosaïque de J. Gulon.











En préparant ce billet, j’ai découvert une légende urbaine amusante qui voudrait qu’en marquant une pause en haut des escaliers, on voit sa montre s’arrêter. Je n’ai pas de montre mais j’aime le mystère supplémentaire, la touche de fantaisie citadine.

Passage des Soupirs
47 bis rue de la Chine - 244 rue des Pyrénées - Paris 20