Cinéma : White Bird, de Gregg Araki



Kat (Shailene Woodley qui crève littéralement l'écran), une lycéenne ordinaire, a 17 ans lorsque sa mère Eve (Eva Green, époustouflante et tout à fait flippante) disparaît mystérieusement sans laisser de traces. White Bird trace le portrait d’une adolescente désabusée qui devient femme en se construisant une carapace, une forme de rempart contre l’attitude névrotique de sa génitrice. Femme au foyer dont le mariage malheureux et la frustration de ne s’être jamais réalisée la poussent vers une neurasthénie angoissante, Eve est le symbole désaxé de toute une génération cantonnée au rôle de ménagère. Entre flashbacks et scènes oniriques d’une poésie dense et angoissante, le film retrace l’enquête intime de Kat, adolescente qui cherche la vérité sur sa mère et sur elle-même. Les faux-semblants de la petite bourgeoisie volent en éclats tandis que se révèle le vrai visage de la famille modèle, ce leurre datant des années 50, cauchemar planant d’une banlieue pavillonnaire de carton pâte. 

 




Le père, Brock (Christopher Meloni) est un homme effacé, soumis à la rancœur de sa femme qui l’humilie constamment. Kat s’amourache du voisin, Phil (Shiloh Fernandez), un bellâtre un peu benêt. La mère dont la beauté était sa seule réelle fierté ne supporte pas de vieillir et jalouse secrètement sa fille, sa jeunesse épanouie. Elle tente de séduire le jeune homme tandis que son attitude ambiguë est amplifiée par sa consommation d’alcool et de médicaments. Entre mimétisme et rivalité, le réalisateur détaille subtilement les relations mère-fille. Il scrute avec bienveillance et un certain humour désespéré l’évolution des ados en marge, personnages principaux de ses long-métrages, ici les meilleurs amis de Kat, une jeune fille obèse et un garçon homosexuel très extraverti. Anticonformiste, Gregg Araki met habilement en scène la fin des années 80, une reconstitution en décalage feutré, marquée par un sens aigu des détails. L’élégance de son univers à l’esthétique pop donne à revivre une certaine atmosphère. La bande son qui rythme le film, The Cure, Cocteau Twins, Joy Division lui donne une dimension réaliste teintée de mélancolie ouatée.
 





Gregg Araki observe, analyse avec sensibilité et intelligence l’adolescence, la phase d’émancipation, la quête identitaire. White Bird révèle une vision mélancolique, un rêve blanc désenchanté dont l’imaginaire pop est marqué par vocabulaire visuel très fort. Adapté du roman de Laura Kasischke, Un oiseau blanc dans le blizzard, le film décrit la fin d’une époque alors que les aspects lisses de la famille modèle se fissurent dans un climat singulier, sensuel projetant un malaise diffus. Tandis que l’image idéalisée de la cellule familiale passée à la loupe ne résiste pas aux introspections de Gregg Araki, il pointe les dysfonctionnements que provoquent les normes imposées par la société. Un film profond, follement poétique, d’une intensité dramatique fascinante.

White Bird de Gregg Araki 
En salle le 15 octobre
Avec Shailene Woodley, Eva Green, Christopher Meloni