Art : Deux personnages fantastiques de Joan Mirò - 1976 - Esplanade de la Défense



Les silhouettes singulières des "Deux personnages fantastiques" de Joan Mirò (1893-1983) ondoient entre les tours ultra-modernes du quartier d’affaires de la Défense. Depuis 1972, cet écrin de verre et de béton est devenu musée à ciel ouvert. Les collections ont été progressivement constituées grâce à l'ambitieuse politique de commandes publiques. Les totems primitifs de Mirò pourtant composés de résine de polyester semblent moulés dans l’argile brut. Le duo chamarré fait face au "Stabile" de Calder qui embrase la place de la Défense du feu de ses longs membres cramoisis. Les installations ainsi disposées conversent à travers l’espace. Elles apportent une touche de couleur pleine de fraîcheur dans ce cadre rigoureux et froid, lui prêtent une dimension ludique forte.









"Deux personnages fantastiques" est une œuvre tardive de l’artiste catalan Joan Mirò. Implantée en 1976, elle fait l'objet d'un entretien spécifique afin de maintenir son état de conservation et de parer aux agressions extérieures, pollution et météo. Fantasme difforme, réalité familière, le tandem est repeint intégralement à intervalles réguliers. L'ensemble monumental s'élève à douze mètres de hauteur. Les deux figures offrent un contrepoint intéressant à l’austérité de l'espace minéral, au quotidien normalisé du travail associé au temple de la consommation que sont les Quatre Temps. L'opposition éclaire toute la fantaisie et la liberté de cette œuvre, art sans tabou et ludique, désinvolte et profond dont l’allégresse symbolisée par une palette chromatique pleine de vivacité souligne la fêlure discrète dans la joie pure, le drame contenu dans toute étincelle de vie.

La matière sensuelle est l’expression du lien primitif qui nous unit au monde, à la terre. L’équilibre instable des statues donne une impression de mouvement. La surface grumeleuse de la résine évoque l'idée d'une vie grouillant sous la surface. Cette représentation entre gaieté du moment présent et appréhension de l’avenir revendique ses paradoxes. Les constructions originelles suspendues dans l’espace physique guident le spectateur vers les profondeurs de l’inconscient, du leur, de l'artiste, là où la tragédie n'est jamais loin du bonheur.

A partir des années 1920, Joan Mirò se désolidarise des mouvements artistiques dominants du Paris intellectuel auquel il appartient. Il cherche sa propre voie. Son œuvre inclassable fait preuve d’une liberté plastique absolue, d’une inventivité débridée aux confins de l’imaginaire. L’artiste compose sa propre cosmogonie. Il donne forme à un bestiaire mythologique,  créatures parmi lesquelles la femme tient un rôle particulier. L'artiste réinvente le ciel et la terre en quête de nouveaux dieux à célébrer. Son oeuvre mêle érotisme léger et sensualité lourde. Mirò juxtapose le motif de la ferme familiale en Catalogne ancrée dans un pays inaccessible et celui de l’exil qui échappe à la matérialité terrienne.











Initié à la sculpture par son maître Gali, condisciple du céramiste Artigas avec lequel il collabore dès 1945, Mirò traduit plastiquement son univers personnel. La proposition plastique frappe par sa volonté de conquête des volumes et des espaces. L’artiste attribue à son travail l’énergie et la spontanéité de la couleur. Inlassablement, il interroge la lumière et l’Univers. Il réorganise un monde hétéroclite inscrit dans la joie, crée ses propres repères, accès direct à son inconscient. Mirò laisse chacun libre d'interpréter ses oeuvres, libre d'y déceler un sens très personnel. Les partis pris esthétique et symbolique de sa sculpture s'inscrivent dans une démarche où légèreté et poésie dominent. L'artiste revendique la complexité d'une démarche qui tisse des liens étroits entre chaque réalisation, l'ensemble de l'oeuvre sous-tendu par une même force, une cohérence.

A la suite de sa rencontre avec Aimé Maeght, Joan Mirò associe la sculpture à l’architecture et à la nature, double source d’inspiration. Il crée le monde onirique du "Labyrinthe" pour la fondation Maeght. Cet écho, cet échange entre les œuvres installées en extérieur et les bâtiments qui les entourent se retrouve de façon flagrante dans la présentation des "Deux personnages fantastiques" à la Défense.

Deux personnages fantastiques de Joan Mirò - 1976
Place de la Défense - Paris La Défense