Street Art : Philippe Hérard, le poète de Ménilmontant

Philippe Hérard - rue de Ménilmontant - Paris 20


Le périmètre d’intervention de Philippe Hérard est situé dans un triangle qui va de Ménilmontant à Oberkampf et jusqu’au quai de Jemmapes englobant Belleville. Depuis 3 ans, cet artiste-peintre qui expose également en galerie, a fait de la rue son champ d’expérimentation. Si ses œuvres se font assez rares au-delà de ce cadre géographique, leur puissance d’évocation est telle qu’elle frappe les esprits de façon durable. Investir les murs de la ville révèle un goût pour l’intrusion, le détournement. Il faut également posséder une forme rare d’humilité pour s'exposer à la participation directe d’un public totalement spontané dont la réaction immédiate n'est pas filtrée par la galerie et son équipe. L’art urbain, art contextuel, conduit à une sobriété de moyens, un certain dépouillement qui inclut le recyclage des matériaux. Philippe Hérard mêle collage de papier kraft, crayonné sur mur, fusain et peinture. Les planètes de ses œuvres les plus récentes sont composées de superpositions de papiers journaux collés entre eux, peints de sorte à ce que le texte et les images des articles participent à l’effet d’ombre et de matière.


Philippe Hérard - rue Vilin - Paris 20
Philippe Hérard - rue de Savies - Paris 20

Philippe Hérard - rue Crespin du Gast - Paris 11

Philippe Hérard - square Bolivar - Paris 19

Les personnages que dessine et peint Philippe Hérard, jouent les passe-murailles sur les murs de la ville. Les gugusses comme les appelle leur créateur, visages inexpressifs, à peine esquissés, représentent une humanité sans identité propre, pantins démunis placés dans des situations grotesques éveillant l’empathie des passants, symboles douloureux de la condition humaine. La tête penchée sur un miroir, dans un exercice d’autoportrait schizophrénique, c’est de chacun de nous qu’il parle.

L’artiste se contente de montrer sans juger, sans discours, sans revendication. Il prélève une part de réel à un niveau élémentaire qu’il retravaille afin de donner naissance à une œuvre inattendue procédant d’une certaine esthétique du surgissement. Philippe Hérard joue beaucoup avec la géographie urbaine notamment les nombreux dénivelés qui accidentent son territoire d’intervention favori à Ménilmontant. Les sphères virtuelles sont entraînées par la pente réelle, les silhouettes au fusain perdent l’équilibre en se penchant un peu trop vers la rue.

Il reprend la palette chromatique du mobilier urbain, les collages aux nuances sourdes s’intègrent naturellement dans le paysage urbain. La ville devient argument créatif, source d’images, de formes, de mouvements et par extension d’idées. Le fragment d’espace en amont de l’intervention artistique sert de prétexte donnant lieu à une formalisation inédite de l’expression artistique, célébration de la cité moderne. Les œuvres prennent vie en prise directe avec le réel, répondant au principe d’immersion.


Philippe Hérard - rue de l'Equerre Paris 19
Philippe Hérard - rue de l'Equerre - Paris 19




















La fragilité apparente des sujets, esquisses d’hominidés qui se découpent en clair-obscur, leur aspect incertain couplés aux tons neutres délavés mêlant le beige et le gris et à l’ironie des symboles, accentuent l’effet dramatique des réalisations de Philippe Hérard. L’artiste se moque de ses créatures en les plaçant dans des situations plus qu’inconfortables, humour noir d’un cruel démiurge métaphore de la condition humaine. L’homme, son ébauche, cherche sa place dans un monde oppressant qui l’oppresse et le réduit à un rôle de victime, un monde cloisonné dont il a lui-même construit les murs qui l’emprisonnent.

L’homme à la bouée, l’homme-vigie, l’homme en équilibre sur une sphère, l’homme à la fenêtre d’un monde auquel il est étranger suscitent tous un même sentiment de tristesse lasse. Les planètes sont trop petites et désertes, l’océan est souillé par une marée noire, l’univers qui les entoure est inhabitable, pollué, déshumanisé. Les dessins de Philippe Hérard reflètent la solitude profonde qui frappe l’humanité contemporaine. Quand il y a plusieurs personnages, ils sont identiques, clones inquiétants et dépressifs.

L’artiste développe un vocabulaire pictural de l’isolement, de la fragmentation. Ses créatures dissimulent leur visage, peinent à conserver leur équilibre, scrutent l’horizon avec inquiétude, se recroquevillent, se contorsionnent. Postures grotesques, humiliantes, nudité exposée, entrave physique traduisent angoisse et embarras. Philippe Hérard représente des  images anxiogènes dans lesquels gesticulation et agitation nerveuse font place à un marasme inquiet, une impuissance douloureuse. L’homme mis à nu, corps et âme, est placé face à lui-même, à sa difficulté d’être, forcé d’assumer la responsabilité de sa condition et son impuissance par rapport au monde qui l’entoure.


Philippe Hérard - rue de la Mare - Paris 20
Philippe Hérard - rue des Couronnes - Paris 20

Le travail de Philippe Hérard ne répond à aucune norme. Il trouve son propre mode d’expression, expérimentant, réinterprétant à chaque intervention avec un acharnement maniaque les mêmes personnages. Les œuvres étudiées à posteriori dans l’ordre chronologique semblent former une histoire de solitude et d’angoisse, de destruction et d’absurdité. Ses créations très conceptuelles désorientent au premier abord et poussent le spectateur à s’interroger. Le délitement progressif des œuvres, réalisations éphémères vivant au rythme de la pulsion de la ville et des phénomènes naturels procède d’une poésie violente. L’art urbain est caractérisé par sa volatilité. Il possède son propre cycle de vie. Toute pièce réalisée dans la rue est appelée à disparaître, cela fait partie de la beauté de cette forme d’expression.

L’artiste urbain est un colporteur d’images, qui arpente le pavé, déplace son regard si singulier à travers l'espace d’intervention et propose une nouvelle représentation de la cité. L’intrusion de l’artiste, de sa vision dans le tissu de la réalité urbaine conduit à une intensification culturelle. L’art public devient une forme de résistance à la ville comme lieu balisé, administré, surcodé de la propriété. Le street art se revendique comme une expression poétique interventionniste qui permet d’esthétiser et de revaloriser le paysage urbain selon un angle inattendu.

Philippe Hérard 
Blog personnel qui vous permettra de découvrir les collages signés Philippe Hérard et posés par son comparse Eric Maréchal à l'étranger


Philippe Hérard - Oberkampf - Paris 11